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14/01/2014

Stéréotype de Genre, caricature de Sexe.

La défense de notre identité doit-elle passer par la défense de ses stéréotypes, dans un monde ou désormais stéréotype signifie caricature ?

StereotypeDuGenre-21.png

Cet article s'adresse en premier lieu à ceux qui n'ont pas tiqué en voyant cette affiche, en particulier ceux qui l'ont laissé paraître (pour les autres, respirez, il parait que c'est de l'humour).

Outre le fait que ce slogan est ridicule, je suis vraiment convaincue qu'on se trompe de débat en se fixant sur la défense des stéréotypes. En effet notre identité sexuelle ne dépend d'aucun stéréotype ; si on ne rappelle pas cela, si on focalise le débat sur ces stéréotypes, on sera à la merci du relativisme qui a présidé à la naissance de cette théorie. En effet, par essence, le stéréotype est mouvant et relatif.

A quoi sert le stéréotype ?

Larousse : "l'expression ou opinion toute faite, sans aucune originalité, cliché" ou "la caractérisation symbolique et schématique d'un groupe qui s'appuie sur des attentes et des jugements de routine".

Pour les psychologues sociaux, le stéréotype est une croyance collective et non pas une réalité concrète (sauf si vous considérez qu'une croyance est concrète). Les stéréotypes sont des "croyances partagées concernant les caractéristiques personnelles, […] les traits de personnalité, […] les comportements, d’un groupe de personnes" (Leyens).

Bref, c'est le mot poli pour dire cliché... un genre de catégorisation fantasmée que l'on peut calculer à partir du recueil des déclarations d'une population donnée au sujet d'une catégorie de personnes. Personne ne peut se reconnaître dans un stéréotype à moins d'être une caricature incarnée ! On ne peut donc pas se prévaloir d'un stéréotype puisqu'on n'est jamais propriétaire des stéréotypes qui nous sont accolés. 

Le concept de stéréotypes de genre a été inventé par les idéologues du genre !

Et ils en sont du coup les premiers défenseurs, en étant les créateurs. Paradoxal, mais logique. Pourquoi ? Parce qu'ils en ont BESOIN de ces $£*#&]" de stéréotypes ! En effet si l'identité d'homme et de femme se réfère à des stéréotypes (et non pas à la biologie par exemple) alors cette identité est superficielle et relative et on peut la changer

Bien-sûr, je ne suis pas d'accord avec cette théorie. Réfléchissez, combien de petits garçons ont joué à la poupée et sont devenus des hommes, des vrais, et combien de gamines en rose paillettes se sont vues offrir des montagnes de barbies pour finalement devenir ces femmes testostéronée que la société veut nous vendre ?

Ce n'est pas le fond du débat...

Un homme et une femme ce n'est pas la même chose, c'est vrai. Mais pas à cause d'un stéréotype. A cause de leur vocation différente et d'une biologie différente. Et c'est là, la vraie raison qui fait que des garçons qui ont joué à la poupée deviennent des hommes, des vrais, pendant que des little miss sunshine deviennent des féminators.

Parce que dans un cas, les parents se souciaient des stéréotypes comme d'une guigne, mais ont appris à leurs enfants la beauté de leur vocation d'homme et de femme. La protection des faibles, l'accueil de la vie, le don de soi à l'autre. Leurs enfants ont appris à respecter leur corps, à ne pas se polluer à coup de pornographie, de pilules ou de préservatifs. Ils ont appris à respecter l'autre, à le protéger, à grandir ensemble plutôt qu'à se casser la gueule ensemble, ou comme le disait moins prosaïquement Guy de Larigaudie, parce qu'ils ont appris à être, "les uns pour les autres une source, non de fautes, mais d'enrichissement". Ils ne se sont pas entendus dire "sors couvert" mais "conduis-toi bien". 

Alors que la petite fille en rose s'est vue offrir des barbies à 5 ans, du rouge à lèvre à 10, et la pilule à 15. Hyper sexualisée depuis le plus jeune âge à coup de stéréotypes, justement, elle a appris que la féminité était quelque chose de superficiel, qui devait surtout rester en surface pour ne pas encombrer les profondeurs. Cette gamine a appris à séduire et non à aimer, à se détruire, en niant son identité à coup d'hormones de synthèses. Elle fait le métier qu'elle veut. Mais si elle offre un Action-Man à sa fille, c'est peut-être parce qu'elle aurait préféré qu'on l'éduque autrement. Elle a tort de réagir ainsi. Mais elle a raison sur un point. Les stéréotypes ne l'ont pas sauvée. Au contraire. Ils ont participé à faire d'elle une caricature de femme, et non une femme.

Lutter contre le gender ?

On ne va pas rendre nos enfants malheureux en les obligeant à jouer à ce qu'ils n'aiment pas, bien-sûr. Et je ne dis pas non plus qu'il est bon de détruire leurs repères. Mais en donnant tant d'importance à cette branche du débat, nous nous placerions sur le même terrain que ceux que nous voulons convaincre et nous leur donnerions des armes contre nous.

Si on veut lutter contre le genre, mieux vaut plutôt défendre la VOCATION COMPLÉMENTAIRE de l'homme et de la femme et le RESPECT DE LEUR CORPS (ça, c'est pas du stéréotype, c'est de la BIOLOGIE) et on tapera juste. 

Notre identité n'est pas superficielle et ne dépend d'aucun stéréotype. De ce fait elle transcende les cultures et les époques. Inquiétons-nous donc de la pornographie, de la contraception et tout ce qui perturbe le fonctionnement normal du corps humain, de la sexualisation précoce des enfants, de la pénalisation financière des femmes au foyer, de la propagande LGBT. Mais par pitié, ne donnons pas dans la défense des clichés ; on en ferait un beau.

J'espère vivement que cette affiche, qui circule beaucoup chez les antis-LMPT, va rapidement être remaniée. "Pas touche à mes jouets" par exemple conviendrait certainement mieux que "pas touche à nos stéréotypes !!"

Publié dans Société | Commentaires (4) |  Facebook | | | Isabelle

04/01/2014

Tomboy à l'affiche ! Témoignage

Témoignage d'un ancien "Tomboy" qui n'est pas devenue un homme en grandissant - ce qui, par les temps qui courent, est très anticonformiste.

J'ai conscience que ce témoignage pourrait soulever des questions, mais je pense que par les temps qui courent, il pourrait aussi en intéresser plus d'un !

Bonjour, j'ai 28 ans et j'ai passé 15 ans de ma vie à l'état de Tomboy, et c'était cool.

Quand j'étais petite, je voulais être un garçon. Je le voulais très fort. Disons de 5 ans, l'âge où j'ai compris qu'il y avait des différences de comportements entre les garçons et les filles, jusqu'à l'âge de 20 ans environ.

Je suis l'aînée d'une famille catho. Mais à l'époque, on ne parlait pas trop de la "théorie du genre" et lorsque mes parents me voyaient déguisés en garçon, ils pensaient à Claude dans le Club des Cinq et non aux cliniques pour les enfants transgenre. D'ailleurs, à la question "est-ce que tu veux changer de sexe ou qu'on achète un chien", j'aurais été très embêtée pour répondre.

Bizarre dès la maternelle

Mes premiers vrais souvenirs, bien construits, remontent à la moyenne section de maternelle quand j'ai commencé l'école. J'étais déjà disons... turbulente. Nous faisions un jeu qui consistait à quitter la cour de récréation des petits et à s'enfuir dans le parc de l'école, interdit aux élèves. Le goût de l'interdit, la montée d'adrénaline, tout cela augurait une enfance agitée...

A cinq ans, je passais du temps à lire pour mes camarades qui ne savaient pas encore bien déchiffrer. J'aimais les histoires de chevalier, je m'imaginais Robin des Bois, ou encore Peter Pan. Je rêvais de cabanes dans les arbres et de combats épiques. Mais mon imagination débordante entraînait aussi mes camarades, tous des garçons, à des jeux plus violents. Un jour, avec trois copains, nous avons fabriqué des épées avec un jeu de construction (des barres en plastique avec des trous que nous pouvions boulonner les unes sur les autres). On a fait "un pour tous, tous pour un" et on a commencé à se taper dessus en poussant de sauvages hurlements. Sur ce la maîtresse arrive, nous attrape et nous sépare en criant je ne sais plus quoi, et nous envoie chacun à un coin de la classe. Je ne sais plus ce qu'elle m'a dit exactement, mais c'est à ce moment là que j'ai compris qu'on attendait un comportement différent de la part des filles : plus raisonnable, moins agité. Et c'est à ce moment là que je me suis dit que j'aurais mieux fait d'être né dans le corps d'un garçon.

Les filles c'est nul !

A la fin du trimestre, j'ai sauté une classe et je me suis retrouvée en CP. Il n'y avait que des filles dans mon école. Je suis devenue un peu le bébé de tout le monde. Mes copains de grande section me manquaient, et je m'ennuyais beaucoup en classe. D'abord, j'étais plus avancée que les autres. Ensuite, je trouvais mes petites camarades chiantes au possible. Dans la cour de récré, on ne jouait plus à s'attaquer ou à braver l'interdit. Les filles jouaient à l'élastique et moi, je faisais "poteau". Pour ne pas rester seule, j'essayais toujours de trouver un groupe de deux filles avec qui faire poteau.

Exclusion

On jouait aussi aux gentilles et aux méchantes, mais je n'aimais pas ce jeu. Les méchantes étaient des filles de la classe dont on disait qu'elles déshabillaient les gentilles quand elles les attrapaient. Je les trouvais vraiment méchantes et elles me faisaient peur. En plus on ne pouvait pas vraiment se défendre : si on leur donnait un coup de poing dans le nez ou un coup de pied, elles allaient le dire à la maîtresse. Je me souviens encore du nom et du visage de plusieurs de ces filles qui ont été le cauchemar de mon primaire.

J'ai souffert des autres pendant cette période. Les filles, à mes yeux, n'avaient aucune parole d'honneur. On ne pouvait pas compter sur elles. Pendant un voyage de classe, l'une de ces chipies avait répandu du sel dans le lit d'une autre et m'avait ensuite accusée. La maîtresse est rentrée dans la douche pendant que je me lavais, et m'en avait fait sortir en me grondant. Je n'étais pas spécialement pudique en famille, mais cette intrusion m'a beaucoup heurtée, surtout pour m'accuser d'un crime que je n'avais pas commis. Je n'ai jamais attaqué dans le dos, moi. Si j'avais un truc à dire, je le faisais en public, et si l'autre voulait se battre, pas de problème ! On réglerait ça dans le sang ! Lorsqu'on m'attaquait comme ça, je ne savais pas me défendre. J'étais complètement démunie et je me faisais punir. J'ai compris à quel point le monde est injuste.

Un jour, d'autres filles ont glissé un rouleau de scotch avec d'autres petites affaires dans le creux d'un arbre, avec un papier signé de mon nom. Une fois de plus, il s'agissait de me faire accuser. Là encore, j'ai été punie.

Pour survivre, je trouvais des filles plus grandes que moi et je fondais un clan secret à la vie à la mort (le type 6 dans l'ennéagramme)

Il y avait des malentendus permanent avec les filles de mon âge. Une anecdote : tous les trimestres, on présentait des fiches de lecture dans la classe. Les miennes, c'était systématiquement des signes de piste. Un jour (en quatrième) une fille me demande :

- Pourquoi tu présentes toujours des histoires avec que des garçons ?
- Parce que j'aime bien les garçons à cet âge.
Toute la classe a explosé de rire. La prof de français, qui était loin d'être stupide, a lancé avec sarcasme :
- Inutile de prendre votre cas pour une généralité, laissez votre camarade vous expliquer.
J'ai expliqué comme j'ai pu, mais ça n'a pas fait cesser les ricanements. La fois suivante, je leur ai présenté "La Forêt qui n'en finit pas"*. Voilà pour leur gueule !

Le scoutisme était mon lieu d'épanouissement n°1. J'étais aux Europes, pas avec ces fillettes de sufettes (oui, je sais, c'est méchant...). Nous on faisait dans le mytho! Un de mes camps c'est très mal passé ceci dit, parce que j'étais une patrouille de guidettes (maquillage et 0 pointé en grand jeu...) et que j'ai souffert de leur rejet à tel point que j'avais demandé aux parents  de venir me chercher. J'ai fini le camp dans la tente de copines d'une autre patrouille, aussi royalo-péchu que moi. C'était des filles, mais elles étaient ok. 

Les bêtises

Je me faisais toujours gronder aussi pour les jeux turbulents voire dangereux que j'inventais : bataille de feuilles, courses sur les pierres, combat de boxe... Pour impressionner les fillettes de la classe un jour, j'ai escaladé l'escalier de l'autre côté de la rampe. La maîtresse m'a retenu avant que je ne sois trop haute et je me suis pris le savon de ma vie !!

A la maison, je me lâchais. J'avais décrété une fois pour toute que j'étais mieux réussie comme garçon que comme fille. Il fallait se rendre à l'évidence : j'aimais les cabanes, les bagarres, le foot, l'escalade de tout obstacle un peu haut (arbres, murs, balcons, toits...). Au début du collège, avec mes cousins, nous avons fondé une armée dont j'étais bien-sûr un des généraux (il n'y avait que des officiers ou presque dans notre armée). Nous passions nos vacances à fabriquer des armes, construire des cabanes dans les ronces ou dans les arbres, organiser des concours sportifs entre les enfants (piscine, courses, combats...) et à jouer à la petite guerre. Avec le temps, c'est devenu plus spectaculaire ; fumigènes, catapultes... Nous avons obtenu le droit de dormir dans nos cabanes, de faire des randonnées au loin. Je me battais souvent avec mes frères ou même mes cousins. Mes frères étaient plus jeunes : mais je me souviens avoir pris un coup dans le nez de la part d'un de mes cousins qui m'a presque assommé. Avec d'autres cousins ou des amis du voisinage, on jetait des pétards pour effrayer les petits, on allait explorer des maisons, on cambriolait parfois (je me souviens des cannes à pêche de ma voisine), on faisait du feu pour cuire des saucisses, on fabriquait des bombes à eau spectaculaires. J'avais un flingue à bille avec lequel traumatiser les petits du primaire. On avait un club terroriste à l'école. Je cherchais tout le temps des trésors, des fantômes et des souterrains.

Dieu s'est trompé de sexe en me créant

La première fois que j'ai entendu le terme "garçon manqué", j'étais à un voyage de classe. On visitait un château fort. Les filles posaient des questions inintéressantes: qu'est ce qu'on mangeait à l'époque, comment les gens s'habillaient, les belles robes que les femmes mettaient... Je lève la main et je demande :
- Est-ce qu'on peut visiter des souterrains ?
La guide me regarde et s'exclame :
- Vous disiez qu'il n'y a que des filles, mais il y a un petit garçon dans votre classe !
- Non non, elle c'est une fille.
La maîtresse avait dit cela d'un air un peu dégoûté, comme si j'étais moins qu'un fille. La guide est venue près de moi en voyant mon désarroi, et pour me consoler, elle m'a expliqué :
- Excuse-moi, mais c'est la première fois qu'une fille me pose ce genre de question. D'habitude c'est toujours les garçons... Mais tu sais, ce n'est pas grave du tout d'être garçon-manqué, c'est très mignon! Tu es un très mignon petit garçon-manqué. 

C'était en CM1, j'avais 8 ans. J'ai compris ce jour là qu'en fait, j'aurais dû être un garçon. Ça expliquait tout. J'avais un corps de fille, mais j'étais un garçon à l'intérieur. J'ai complètement décomplexé, et je me suis même mise à mépriser un peu les autres filles. J'ai décrété, une fois pour toute, qu'elles étaient bêtes.

J'insistais de plus en plus pour qu'on me coupe les cheveux courts, pour mettre des vêtements de garçons. Je faisais un blocage total sur les robes puis les jupes. Il fallait me supplier pour que j'en mette et je pouvais même piquer des colères terribles quand on m'y forçait. Je voulais ressembler à un garçon et j'y arrivais assez bien.

Jusqu'à 20 ans, je rêvais très souvent qu'un matin, je m'étais transformé en garçon. D'un seul coup, tout le monde se mettait à me respecter. Je n'osais pas trop raconter ce rêve. J'étais toujours dans un collège de fille, et les filles se seraient moqué de moi. S'il y avait eu une opération, j'aurais supplié les parents de me l'offrir.

Je suis un garçon

Durant mon enfance et mon adolescence, il est arrivé fréquemment qu'on me prenne pour un garçon.

Au collège, j'étais inscrite à la chorale. En apprenant que j'étais une fille, avant un concert, une camarade s'est exclamée: "c'est pas vrai ! Je croyais trop que tu étais un garçon ! Je voulais même sortir avec toi !" J'ai pensé en moi-même que je l'avais échappée belle, mais j'étais flattée en même temps !!!

Au pèlerinage de Chartres, un garçon de mon âge (14 ans) avait parlé des heures avec moi de ski, de basket... Il s'était lancé dans une description de grand jeu scout et j'avais lâché :
- Ouais, moi un jour aux guides...
- Quoi, t'es une fille ?
- Ben... oui... Pourquoi ?
- Zut, depuis tout à l'heure je te parles comme si t'étais un mec !
- Oh ! Bah c'est pas grave, je m'en étais pas rendu compte.
On avait rigolé et repris notre conversation. Bien-sûr, je l'avais senti, mais là encore j'étais assez fière.

C'est arrivé encore à 15 ans, aux sports d'hiver, alors que je skiais avec mon frère. Nous skiions seuls, c'était la première fois qu'on n'était pas inscrit en compète. Nous avions rejoint une piste fermée en faisant du hors piste. En surplomb, deux autres jeunes nous regardaient :
- T'as vu par où ils sont passé les deux mecs !!

Mon heure de gloire.

J'adorais le ski (j'adore toujours) parce qu'il n'y avait plus ni homme ni femme une fois la combinaison enfilée. Seul le talent compte. Et l'audace. J'aimais (j'aime) l'adrénaline, ce moment où, lancé à pleine vitesse, on sait qu'une chute peut-être fatale (et on repense à sa dernière confession ^^). Les moniteurs de compète disaient que je skiais comme un homme (même qu'ils pensaient toujours que j'allais tout remporter, et au final j'étais tellement stressée au moment d'y aller que j'avais juste le bronze :S). J'ai appris que Carole Montillet aussi skiait comme un homme. La grande classe, quoi.

Loyauté

Je ne voulais pas mentir, ce que je voulais par dessus tout, c'est que les garçons m'intègrent dans leur bande, dans leurs jeux. Qu'ils me jugent à leur hauteur, digne d'être leur ami. En amitié, avec les garçons comme avec les filles, j'étais quelqu'un de loyal et d'exigeant (je pense toujours l'être). J'avais des amies filles, mais qui avaient la même conception de l'amitié que moi et qui se moquaient bien de maquillage. On jouait aux billes et à cache-cache pour lutter contre la mentalité sac-à-main.

Je n'ai JAMAIS menti sur mon identité (sauf lorsque j'étais le chef masqué et anonyme d'un groupe terroriste bien-sûr, mais est-ce que ça compte ?). Mentir, c'est tromper l'autre. Je ne voulais pas qu'une fille tombe amoureuse de moi. Si une bande de garçons me prenaient pour un autre garçon, cela pouvait avoir son utilité le temps qu'ils acceptent mon comportement et qu'ils m'intègrent. Mais j'avais une conception de l'amitié et de l'honneur qui me faisait rétablir la vérité dès que j'avais la preuve qu'il y avait malentendu. Je voulais être quelqu'un de loyal, de sûr, l'homme de confiance, quoi. J'ai trop souffert des mensonges et des petites mesquineries des filles pour en faire autant. Je me reconnais à 100% dans le personnage de Claudine Dorsel dans le Club des Cinq ; comme elle, je faisais tout comme un garçon, comme elle, j'aurais préféré l'être, comme elle je ne mentais jamais. Comme elle aussi, je ne voulais pas grandir, comme elle j'aurais préféré vivre à l'âge adulte seule dans mon île avec mon chien.

Syndrome de Peter-Pan

Grandir me terrorisait. J'en faisais des crises d'angoisse dès que j'y pensais. J'ai accueilli comme un soulagement le redoublement du CM2, et j'ai pu sympathiser avec des filles plus jeunes, qui partageaient donc plus mes centres d'intérêt. Mais la puberté a été quand même terrible pour cette raison. Je ne voulais surtout pas devenir comme ces femmes que je connaissais. Surtout comme ma mère. J'avais l'impression qu'elle vivait sa maternité comme une source de frustration, à l'époque. S'il fallait grandir, je voulais garder le goût de l'aventure, le plaisir du jeu. Un peu comme un homme, me disais-je. Je voulais être militaire, pilote de chasse, parce que c'était à mes yeux le truc le plus enivrant qu'on puisse faire. Ma vue, qui s'est détériorée, ne m'a pas permis de perdurer dans cette ambition.

A partir de 14 ans, je me suis progressivement volontairement coupée des jeunes de mon âge, jusqu'à finir dans un isolement complet en prépa. J'étais devenue une fille repliée sur elle-même, asociale, complexée, effrayée de tout. J'ai aussi développé une terreur de tout ce qui est administratif.

Devenir femme

On ne naît peut-être pas femme, mais quand on est de sexe féminin, on le devient fatalement un jour ou l'autre. C'est juste que ça peut se passer plus ou moins bien en fonction du contexte. Pour moi, c'était très progressif et peut-être plus long que pour mes congénères, mais relativement simple.

Premiers amours

A l'adolescence, j'ai commencé à regarder les films autrement. Je craquais pour les acteurs, mais au lieu de m'imaginer vivre une histoire très romantique avec eux, je m'imaginais dans leur peau, je m'imaginais eux. C'est un peu bizarre, mais je pense quand même que c'était bien du craquage adolescent.

Je n'ai pas été vraiment amoureuse avant 21 ans bien tassé ; j'étais en Afrique pour un an, j'ai rencontré un gars que je trouvais génial, je parlais tout le temps de lui. Une amie m'a demandé :
- Mais qu'est ce qu'il t'a fait pour que tu penses sans arrêt à lui ? Tu es amoureuse ou quoi ?
C'est à ce moment que j'ai compris ce que c'était qu'être amoureux. Mais j'avais pris beaucoup de retard sur les jeunes de mon âge, et je vivais ce sentiment dans l'instantanéité de l'émotion subie, comme à 13 ans. J'étais une copine très chiante. Outre le fait que j'étais catholique ^^, j'étais accaparante au possible, complètement dans la dépendance affective à laquelle je me laissais aller, prise dans la griserie de ce phénomène nouveau. J'avais enfin l'impression que le Bon Dieu s'était pas totalement planté en me faisant. Ça s'est terminé en queue de poisson. Je lui ai mis un premier râteau-PAM et quelques mois plus tard, il a fini par renoncer à venir en France. Je pense que je l'avais juste trop gavé. Je n'ai été amoureuse qu'une autre fois depuis, il y a quelques années, de manière moins "épique" ; j'ai acquis de la méfiance...

La prière

J'ai pris conscience progressivement que, si j'étais effectivement une femme et que c'était pour le meilleur, il y avait des blessures bien profondes. La prière m'a beaucoup aidé. Il y a un peu plus de deux ans, dans un groupe de prière chacha (je n'étais pas du tout dans le trip, mais c'était en bas de chez moi et j'étais au chômage et complètement désespérée), un copain a proposé de prier pour moi. J'étais au pied d'une statue de St Joseph. J'ai dit oui. Peut-être que j'allais avoir l'intuition géniale de la boite dans laquelle je devais postuler pour trouver le job de mes rêves? Grosse déception : il n'a pas du tout prié pour le taff du siècle. Il m'a confié à la Vierge Marie, pour qu'elle guérisse les blessures liées à ma sexualité, et qu'elle m'apprenne à être fille, épouse et mère. Comme c'était un bon petit gars, un peu coinços, le genre à devenir tout rouge quand on évoque vaguement des trucs de fille, j'ai pris ça au sérieux. En plus je l'avais rencontré après l'Afrique et il ne savait pas à quel point je n'étais pas une fille ordinaire avant. C'est ainsi que j'ai commencé à chercher la guérison auprès de la Vierge Marie et de Saint Joseph.

Sur la théorie du "Genre"

Il y a eu beaucoup de chemin parcouru depuis. Je peux dire maintenant que je suis une femme, heureuse de l'être ; j'espère même l'être plus encore avec le temps. Mais je ne regrette rien de mon caractère, de mes goûts, des jeux qui ont marqué mon enfance et mon adolescence. J'étais une fille turbulente, imaginative, imprudente, et de ce fait souvent rejetée par les filles et acceptée par les garçons. J'espère devenir quelqu'un de combatif, de créatif et d'audacieux. Mes parents n'ont pas essayé de blesser ma nature ; dans une famille nombreuse, les filles jouent aux petites voitures et les garçons demandent des poupées pour Noël (et pendant un temps on voulait tous des playmobiles ce qui réglait la question). C'est l'avantage des familles nombreuses. Mes parents n'ont pas balisé quand je jouais au chef de bande, il n'ont pas non plus balisé quand mon frère a demandé une poupée. C'est idiot, de penser qu'un garçon qui joue à la poupée deviendra une femme dans un corps d'homme, et réciproquement. Un garçon qui veut une poupée pour Noël deviendra un papa affectueux et voilà tout. Et les mecs comme ça, je trouve ça super craquant (d'ailleurs toutes les filles trouvent ça craquant, un jeune homme beau gosse qui fait un câlin à un bébé). Une fille qui joue à la guerre inventera des jeux formidables pour ses enfants !!! Et j'espère vraiment qu'un gars bien va aussi trouver ça craquant un jour.

Chers parents...

A 18 ans, on m'aurait proposé une opération pour me transformer en homme, j'aurais signé tout de suite et ça aurait été la pire erreur de ma vie. J'aurais peut-être pu attendre 50 ans avant de le comprendre, mais heureusement je l'ai su plus tôt. Alors honnêtement, parents, ne transformez pas vos filles en garçons et vos garçons en filles. Apprenez leur plutôt à s'aimer comme ils sont, avec leurs goûts, leurs aptitudes, leur caractère. Parce qu'un garçon ne deviendra pas une femme et réciproquement. Notre âme n'habite pas notre corps comme on conduit un tracteur. Notre corps est tout autant notre identité que notre âme. Nous ne faisons qu'un. Notre nature est de toute façon blessée depuis les origines ; mais il n'y a pas d'erreur sur la personne. Chacune de nos cellules, même bombardée d'hormones, reste marquée par notre féminité ou notre masculinité. Apprenez-leur aussi à être honnête avec ce qu'ils sont, tout ce qu'ils sont. Pas seulement leur esprit au détriment de leur corps ou l'inverse. Apprenez-leur à être honnête avec le monde. A être conscient de leur blessure plutôt qu'à les nier, à aller chercher la guérison plutôt qu'à fuir la souffrance.

C'est comme ça qu'on devient quelqu'un de bien.

* La forêt qui n'en finit pas, un Signe de Piste dont les héros sont des filles signé Jean-Louis Foncine.

Publié dans Société | Commentaires (11) |  Facebook | | | Isabelle

20/12/2013

La Désolation de Smaug

"What have we done ?" - "Qu'avons-nous fait ?"

Ah ben oui, réveiller un dragon de sa sieste pour le lâcher sur des maisons de bois, c'est un peu une boulette. "Draco dormiens nunquam titillandus" comme ils disent à Poudlard. Et c'est de bon augure ! Il n'y a pas à dire, Peter Jackson maîtrise, au tournant du Hobbit, un supsens qu'il avait naguère zappé dans le Seigneur des Anneaux, en sabotant l'émerveillement d'une Eowyn tuant le nazgùl et l'angoisse d'un Aragorn face à la Porte Noire du Mordor.

 Jackson apprendrait-il de ses erreurs ?

Je ne suis pas de ceux qui considèrent qu'une bonne adaptation cinématographique se mesure au respect intégral du livre. On ne réalise pas un film comme on écrit un livre. Ce qui fait que dans l'ensemble, la Désolation de Smaug est un bon film, allez le voir.

Erreur sur la personne ?

Car en sortant, vous pourriez être tenté de faire les critiques suivantes :

Thorin_portrait_w858.jpg- "Thorin est méchant". Bah ouais. Relisez le livre. Thorin a l'air de faire partie des bons, mais il n'est pas cool. Il est aveuglé par sa soif de l'or au point de perdre tout bon sens. Et vous n'avez pas encore tout vu : "je vais vous précipiter sur les rochers", dira-t-il à Bilbo avant de traiter Gandalf de "descendant de rat". Pas manichéiste pour deux sous, le Professeur ne prend pas les enfants pour des cons.

tumblr_static_the-hobbit-bilbo-baggins.jpg- "C'est tout le temps Bilbo qui les sort d'affaire". Là aussi, relisez le bouquin. Bien mal considéré au départ, c'est pourtant bien lui qui délivre ces pécores de nains des araignées, puis des geôles du Roi elfe, qui garde la tête froide quand il s'agit de trouver la serrure de la porte cachée, c'est toujours lui qui fait preuve d'un sacré sang froid face au dragon et l'histoire n'est pas finie ! Le courage des hobbits...

King_Thranduil_portrait_-_EmpireMag.jpg- "Le Roi Elfe est flippant". Ah ça, ils ont un côté inquiétant dans le bouquin, ces elfes qui "prirent toujours davantage goût au crépuscule et à l'obscurité". C'est sans doute une question de point de vue ; mais à 13 ans, lors de ma première lecture, je les ne les avais guère aimé avec leurs chasses, leurs couronnes de fleurs, leurs portes magiques et leurs étoiles. Surtout que leur sens de la convivialité est très très limité. PJ lui rajoute un peu de profondeur : Thranduil "Double Face" a visiblement un passif douloureux avec les dragons. A vous de voir...

 Hobbit-Beorn.jpg- "Beorn est dangereux". Lui aussi il fait flipper. Il se peut qu'il ne vous ai pas inquiété dans le livre. Là encore, c'est une question de point de vue ; il est dans le bon camp, mais il est certainement dangereux et imprévisible. De l'inquiétude latente dans le livre, on passe à un flip total dans le film.

Sur la notion de danger pour Tolkien, se référer à la réplique suivante de Gandalf à Gimli dans Les Deux Tours : "Dangereux! s'écria Gandalf. Et moi aussi je le suis, très dangereux même : plus dangereux que tout ce que vous rencontrerez jamais, à moins que vous ne soyez amené vivant devant le Seigneur Ténébreux. Et Aragorn est dangereux, et Legolas est dangereux. Vous êtes entouré de dangers, Gimli fils de Gloin ; car vous êtes dangereux vous-même, à votre propre manière."

Les gros sabots de Peter

PJ y va avec ses gros sabots pour nous présenter un Thorin méchant, un Bilbo téméraire, un Thranduil et un Beorn effrayant. Mais si on ne les avait pas vus dans le livre, c'est qu'on a mal lu et qu'il serait peut-être bon de s'y replonger. La mention "livre d'enfant" nous met parfois des œillères; PJ pour une fois ne s'est pas planté sur l'interprétation ; il a simplement totalement manqué de finesse. C'est qu'il y a du kilomètre, entre la vieille Angleterre et la Nouvelle-Zélande.

Le film ne manque cependant pas d'humour et de rebondissement (quelques longueurs à signaler) ; l'image est à couper le souffle, les araignées sont telles qu'on se les figurait et arrivent à parler sans que cela ne soit ridicule. On nous épargne cette fois, Dieu merci, les lapins de traineaux (mais pas le nid sous le chapeau). L'Arkenstone trouve une place tout à fait intéressante et Smaug est vraiment le Magnifique et La Plus Grande Des Calamités. Même Legolas est plus viril. C'est d'ailleurs une véritable machine à tuer, comme quoi survivre à son propre ridicule rend décidément invincible.

J'ai retrouvé la magie du livre, qui m'avait enchanté en me faisant perdre tout repère. C'est la grande richesse de la bonne fantasy, de nous détacher du contingent pour que nous soyons libre, enfin, de prendre la mesure du combat spirituel, la seule chose qui compte vraiment et ne change jamais.

Conformisme, fric et morale

Le film ne cède pas - une fois n'est pas coutume - aux hydres du politiquement correct en nous présentant l'habituel faire-valoir de la société moderne (une lesbienne black aurait fait l'affaire). En l'occurrence il ne s'agit pas de faire la morale au public. Bien. Contentons-nous déjà de faire le maximum de fric, ce ne sera déjà pas si mal. Et un univers uni-sexe sans amourette pouvait-il assurer les entrées que le rabâchage médiatique promettait ? 

QUI irait en effet voir un film de fantasy sans la femme libérée et sexy de service (genre Arwen en Cat Woman) qui se bat comme un homme pour laver le film de tout soupçon de sexisme ?

QUI irait voir un film de fantasy sans amours impossibles entre une guerrière et son capitaine, faisant rêver toutes les midinettes qui commençaient à trouver Legobloom has been ?

QUI se passerait de romance entre une elfe et un nain réconciliant les antagonistes de Naheulbeuk autour d'une bonne tisane d'Athelas ?

Allez, faisons plus fort : un triangle amoureux conciliant les trois. Et puis de préférence avec une meuf trop bonne et des bogoss trop stylés, pour faire venir les frères des legolettes* (Legolaaaaaas!!!)

C'est moderne (moderne=bien) et ça déplace les foules (fric=mieux)**.

Ce qui fait que dans l'ensemble, la Désolation de Jackson Smaug aurait pu s'affranchir de quelques codes et gagner en qualité. Et en respect de l'écrivain. Voilà qui aurait été audacieux.

Comme disait un gars sur un forum, en pénitence, vous me direz un Peter et trois Navets.

The-Desolation-of-Smaug-Tauriel-and-Legolas.jpg Kili.jpg
Legolas, Tauriel et le nain Kili : le triangle amoureux. On ne dira pas dans quel sens.

* Legolette : jeune fan hystérique de Legolas
** Sarcastique ? Moi ?

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01/10/2013

Veiller avec les Hobbits - Intro (1/20)

L'espérance dans le Seigneur des Anneaux


800328_f520.jpgJ'ai effectué une sélection de 19 textes puisés dans le Seigneur des Anneaux. Chacun, d'une façon ou d'une autre, parle d'espérance. Dans le paragraphe introductif de chaque texte, je rappelle le contexte. Après chaque citation, un paragraphe en italique donne quelques pistes méditatives sur les leçons d'espérance que cet extrait peut apporter aux Veilleurs. Bien-sûr, d'autres que les Veilleurs pourront y puiser de quoi se ressourcer ; mais il me semblait que les Veilleurs seraient plus sensibles à ce travail de fond et de littérature par leur nature même de mouvement culturel.

Si vous lisez ces textes bout à bout, vous verrez défiler toute l'histoire du Seigneur des Anneaux. Mais vous pouvez en sélectionner juste un, ou deux, pour illustrer une veillée ou un propos. Je me permets donc d'ajouter un résumé de l'histoire, pour que chaque extrait soit bien compris :

La vie s'écoule paisiblement dans la Comté, un pays peuplé de petites personnes appelés Hobbits, qui s'efforcent d’ignorer le vaste monde. Jusqu'au jour où Frodon, un jeune homme de bonne famille, hérite de son oncle un anneau qui donne le pouvoir d'être invisible. Le magicien Gandalf lui apprend alors que cet anneau est créé par Sauron, un démon qui cherche à dominer le monde, et que dans cet anneau réside une grande partie de la puissance de Sauron. S'il est détruit, Sauron tombe. Si Sauron le retrouve, les ténèbres s'étendront sur terre. Avec son jardinier et ami Sam, Frodon décide de partir détruire l'anneau au seul endroit où il peut être fondu ; dans le volcan où il fut forgé, en plein Mordor, le pays de Sauron. Pendant ce temps, les hommes libres, menés par Gandalf et Aragorn, l'héritier des rois, tentent de tenir à distance les armées du Mordor.

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24/07/2013

Veiller avec les Hobbits - Livre VI (20/20)

A la fin de toutes choses

Voir un résumé de l'histoire - Voir les épisodes précédents

Alors que la bataille fait rage devant les portes noires du Mordor, mettant aux prises les armées de Sauron et les hommes du Gondor et de Rohan, Sam et Frodon sont parvenus dans la forge de Sauron, sur la paroi de la Montagne du Destin. L'anneau a été détruit ; Sauron est tombé de son trône, et sa place forte réduite à néant. Mais alors que la bataille tourne en la faveur des hommes, le volcan entre en éruption. Et les deux hobbits, qui ont renoncé à leur propre vie pour sauver ce qui pouvait l'être, sont au cœur de la tourmente. Frodon, enfin libéré de l'emprise de l'anneau, est tout prêt à se laisser mourir.

« Je suis heureux que tu sois ici avec moi, » dit Frodon. « Ici, à la fin de toutes choses, Sam. » 

« Oui, je suis avec vous, Maître, » dit Sam, portant doucement à sa poitrine la main blessée de Frodon. Et vous êtes avec moi. Et le voyage est achevé. Mais après tout ce chemin, je ne veux pas encore renoncer. Ce n'est pas mon genre, en quelque sorte, si vous voyez ce que je veux dire. »

« Peut-être pas, Sam, » dit Frodon ; « mais ainsi vont les choses dans le monde. L'espoir n'aboutit pas. Une fin vient. Nous avons peu de temps à attendre, maintenant. Nous sommes perdus dans la ruine et l'effondrement, et il n'y a aucun moyen d'y échapper. »

« En tout cas, Maître, on pourrait au moins s’éloigner de ce dangereux endroit, de cette Crevasse du Destin, si c'est comme ça que ça s'appelle. Non ? Allons, Monsieur Frodon, descendons toujours le sentier ! »

« Bon, Sam. Si tu y tiens, j'irai », dit Frodon. Ils se levèrent et descendirent lentement le long de la route en lacets; et, comme ils allaient vers le pied ébranlé de la Montagne, le Sammath Naur rejeta une grande fumée et des vapeurs ; le côté du cône s'ouvrit, et un énorme vomissement roula en une lente cascade tonnante le long du flanc oriental de la montagne.

Frodon et Sam ne purent aller plus loin. Leur dernière force d’âme et de corps déclinait rapidement. Ils avaient atteint une petite colline de cendres au pied de la Montagne ; mais de là, il n'y avait plus de moyen d’échapper. C’était à présent une île, qui ne durerait plus longtemps au milieu du tourment de l'Orodruin. Tout autour, la terre s'ouvrait, et de profonds puits et crevasses jaillissaient de la fumée et des vapeurs. Derrière eux, la Montagne était en convulsion. De grandes déchirures s'ouvraient dans son flanc. De lentes rivières de feu descendaient vers elles le long des pentes. Elles furent bientôt englouties. Une pluie de cendre chaude tombait.

Ils se tenaient debout, à présent; Sam serrait la main de son maître et la caressait. Il soupira.

« Dans quelle histoire nous avons été, hein, Monsieur Frodon ! » dit-il. « Je voudrais bien pouvoir l'entendre raconter ! Croyez-vous qu'on dira : Et maintenant, voici l'histoire de Frodon aux Neuf-Doigts et de l'Anneau du Destin ? et alors, tout le monde fera silence, comme nous le fîmes quand, à Fondcombe, on nous a raconte l'histoire de Beren à la Main Unique et du Grand Joyau. Je voudrais bien pouvoir l'entendre ! Et je me demande quelle sera la suite après notre partie. »

Mais, tandis qu'il parlait pour éloigner la peur jusqu'au dernier moment, ses yeux vaguaient toujours vers le nord, le nord froid, se muant en grand vent, repoussait l'obscurité et les nuages défaits.

Et ce fut ainsi que Gwaihir les vit de ses yeux perçants et à longue portée, comme il venait sur le vent furieux et que, défiant le grand péril des cieux, il tournoyait dans l'air : deux petites formes sombres, perdues, main dans la main, sur une petite colline, tandis que le monde tremblait sous eux et haletait et que les rivières de feu approchaient. Et au moment où, les ayant décelés, il fonçait sur eux, il les vit tomber, épuisés ou suffoqués par les fumées et la chaleur ou finalement abattus par le désespoir, et se cachant les yeux devant la mort.

Ils gisaient côte à côte ; Gwaihir fonça, tandis que Landroval et Meneldor le rapide descendaient également ; et, dans un rêve, sans savoir quel sort leur était échu, les voyageurs furent soulevés et emportés au loin hors de l’obscurité et du feu. 

Livre VI, Chapitre IV, p 1013-1014

C'est une fin heureuse. Nous n'aurons pas la chance de voir des aigles nous emporter loin de la tourmente. Nous sommes encore dans les heures de combat de l'histoire. Mais l'histoire ne s'arrête pas là ; car si Sam rentre chez lui pour se marier, être élu maire et profiter longtemps de sa vie, Frodon lui ne parviendra pas à trouver la paix. Au bout de quelques années, il traversera la mer à la suite des elfes pour passer le reste de sa vie à Valinor, une terre où ses blessures trouveront la guérison. 

Nous sommes tous, au cœur de cette longue nuit, des porteurs de l'anneau. Notre premier combat n'est pas dans les armes, mais dans le silence de notre cœur. Si nous n'arrivons pas à préserver la paix, la charité, l'humilité, si nous ne venons pas pour défendre le beau, le vrai et le faible, alors nous ne servons plus à rien. Alors nous perdons. Alors nous transformons la victoire en défaite. 

Il ne s'agit pas de dénigrer d'autres engagements plus actifs. Ils font partie de cette grande histoire, au même titre qu'Aragorn, Eomer, Gandalf, font partie de l'histoire du Seigneur des Anneaux. Mais quels que soient les engagements que nous prenons – et ils peuvent être multiples – nous devons garder à l'esprit que nous ne pouvons combattre la haine avec la haine ou le mensonge avec le mensonge, que tout conflit est un mal auquel nous sommes soumis, en tant que défenseurs, mais que nous ne pouvons que regretter.

Faramir, capitaine de guerre, expliquait à Sam et Frodon : « Je n'aime pas le glaive luisant pour son acuité,ni la flèche pour sa rapidité, ni le guerrier pour sa gloire. J'aime seulement ce qu'ils défendent ». J'espère qu'un jour, les manifestants baisseront leur pancarte. Que les Hommens iront se rhabiller. Que les télétransporteurs rentreront chez eux. Que les veilleurs iront se reposer. Non parce que nous aurons renoncé. 

Mais parce que le soleil se sera levé.

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