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22/03/2022

L'espace public, ce no man's land (Carnet de covid, page 3)

Qu'elle est le rapport entre le masque, le voile, le pass et l’espace public ?

Un endroit où on se sent chez toi, me disais-je l’autre jour en entrant dans une église peu politiquement correcte, c’est un endroit où l’on peut entrer comme si l’on était chez soi. En l’occurrence, sans protection vestimentaire et sans présenter un ausweiss.

Pendant plusieurs mois, le seul endroit où je pouvais me présenter sans masque, c’était chez moi. Maintenant [j'écris ces lignes en septembre 2021], on ajoute en plus un QR code. « Bienvenue, je vais vous scanner et je ne veux pas voir votre visage », non, ça n’est pas un message de bienvenue.

Autrefois, on était chez soi dans son église, dans son club de sport, dans son bar. C’était nos petits lieux habituels, comme des extensions de notre maison. Des lieux partagés. Et encore dans certains lieux préservés, on est chez nous dans notre rue, dans notre quartier, dans notre ville. Ces trottoirs n’appartiennent pas à personne : ils appartiennent à tout le monde. On s’y sent en paix, protégé, puisqu’on est chez nous. Mon père allait chercher le pain en robe de chambre… (Et, oui, ça faisait hurler ma mère).

A partir du moment où l’on se masque et où l’on se fait contrôler pour accéder à ces endroits, ils cessent d’être chez nous. Nous y devenons des étrangers. Ni le bar, ni l’église, ni le club de sport ne sont à nous ; et le trottoir, la rue, le quartier ne sont plus à tous. Ils ne sont à personne.

L'espace public a mis les voiles

Le problème me semble similaire avec la fameuse question du voile dans l’espace public. Pourquoi cela choque-t-il tant les gens ? Des amis proches de l’Islam m’ont expliqué que ce n’était pas pour soumettre la femme, mais pour la protéger, et que ce voile n’était porté qu’à l’extérieur de la maison. Oui, mais si je considère ma ville et mon pays comme chez moi, ne devrais-je pas du coup m’y comporter comme je suis chez moi ? Et donc, ne me couvrir la tête que pour me protéger du soleil ou de la pluie, ainsi que je le ferais dans mon jardin ? On me dira qu’il ne me viendrait pas à l’idée de me promener à poil dans la rue. Non, bien sûr, mais il ne me vient pas non plus à l’idée de me promener à poil sous mon toit si je partage ce toit avec d’autres, par respect pour eux (et non pour me protéger moi). Alors, avant le masque, ceux pour qui l’espace public appartenait à tous – comme l’école publique par exemple – pouvait se montrer choqué de voir que certaines femmes, lorsqu’elles sortaient de chez elle, semblait se comporter non plus comme si elles étaient chez elles dans ce pays, mais comme si elles étaient entourées d’étranger. Un pays, c’est une grande famille : on ne devrait pas se considérer entourés d’étrangers dans sa propre ville !

Mais de toute façon, cette histoire de voile est déjà has been. Désormais, nous sommes tous des étrangers dès que nous quittons notre toit. Entrer dans un restaurant ou un cinéma revient à franchir une frontière : on s’y fait contrôler. Le seul endroit dont on puisse dire « je suis chez moi », c’est notre toit. Le résultat, c’est qu’avec le Covid, les trottoirs, les quartiers et les villes sont devenus de vastes no man’s land. Les églises, les bars et les cinémas sont des halls d’aéroport, une fois passés les contrôles. L’espace public et ces lieux accueillants du public ne sont plus à tout le monde. Ils sont à personne.

Et si l’espace public est à personne au lieu d’être partagé par tous, on ne s’y comportera plus comme on se comportait chez soi. Alors effectivement on sortira des tenues de cosmonautes pour se protéger de l’air ambiant et des extraterrestres. Mais pire que la tenue : on ne se préoccupera plus de cet environnement. Car si ce n’est pas à nous, ce n’est plus de notre responsabilité. C’est à personne. C’est donc à personne de s’en occuper. Et voilà comment l’espace public sort du champ du Bien commun. Autrefois on disait « parce que la santé est notre bien le plus précieux ». Bientôt on pourra dire que le seul bien commun sera notre santé à tous – c’est-à-dire la santé biologique des personnes à risque de développer une forme grave du covid. L'individualisme a triomphé de l'espace public. Et voilà comment on défait une civilisation.

Publié dans Cité | Commentaires (0) |  Facebook | | | Isabelle

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