08/02/2019
Pourquoi vos potes ont zappé ce super événement catho parisien que vous organisiez
Vous avez monté une super soirée catho, un truc de ouf, les photos circulent sur insta, et là un copain vous enguirlande : « ouais mais j’étais pas au courant, comment ça se fait ? »
Pourtant vous avez tout essayé. Vous avez payé de la pub sur les réseaux sociaux, passé du temps à choisir les filtres, envoyé des mailings, invité tous vos contacts. Alors bien-sûr vous n’avez pas non plus harcelé les gens avec des tonnes de textos : en plus, la loi RGPD ne vous autorise pas non plus à faire n’importe quoi. D'ailleurs, le spam sauvage n’a pas bonne presse.
Vous êtes absolument certain que ce copain a reçu l’information. Vous avez vérifié qu’il était dans le mailing. Il est également abonné aux cinq pages facebook qui ont abondamment relayé l’événement, il suit l’association sur Insta et sur Twitter, et vous avez eu l’impression de ne parler que de ça pendant les trois semaines précédentes.
S’il était le seul, encore. « Mes enfants n’étaient pas au courant… » « Zut, mais comment j’ai pu louper ça ? » Les algorithmes et outils anti-spams ne peuvent tout de même pas expliquer que le même qui a liké votre événement vous assure deux semaines plus tard qu’il n’était « pas au courant ».
Alors que s’est-il passé ?
Il s’est passé que votre ami, comme n’importe qui, a une mémoire sélective. L’information est passée sous ses yeux. Oui. Comme des centaines d’informations chaque jour, et la vôtre n’était tout simplement pas prioritaire : son esprit l’a aussitôt jetée aux oubliettes, pour éviter de s’encombrer avec. Il n'est pas hostile : il est imperméable. Comme vous, d'ailleurs. Comme tout le monde.
Regardez l’agenda d’un jeune célibataire catholique citadin. Retirons ceux qui viennent d'arriver et qui cherchent désespéramment à faire leur trou. Quand on a deux soirs de libres par semaine, c’est déjà bien. Entre les veillées de prière, les conférences, les afterworks et les engagements caritatifs, les amis ont bien du mal à trouver leur place. Et si comme moi vous faites du sport plusieurs fois par semaine, vous êtes foutu. Surtout si vous avez un peu d’argent : les étudiants sont à la limite sauvés par leur « pas d’argent pour sortir », encore que les soirées cathos sont généralement gratuites…
Alors votre soirée catho, non, elle n’était pas prioritaire. Ce que les yeux ont vu n’a tout simplement pas été enregistré dans le cerveau, quand bien même les yeux l’auraient vu trois, cinq, dix fois. On le fait tous les jours pour tant de choses…
Alors que faut-il faire ?
D’abord, vérifiez que votre proposition est pertinente. Si elle ne touche pas sa cible, c’est peut-être que la majorité des gens n’ont pas besoin de votre proposition, ou qu’ils ont mieux à faire.
Mais si votre entourage est désolé d’avoir loupé le coche, cela veut sans doute dire qu’il fallait mieux transmettre l’invitation. Mais comment faire, dans un monde saturé d’information ? Faut-il en rajouter ? Oui, si on y va au matraquage, ça finit par fonctionner. On a fait une petite enquête au boulot, et on a découvert que les jeunes qui se rappellent d’avoir vu passer un événement (sans nécessairement y être allé) sont ceux qui ont vu trois fois l’information. C’est ce qu’on appelle faire du forcing. Mais au bout d’un moment, on s’épuise. Et surtout, le succès a un côté artificiel qui laisse un goût amer aux organisateurs…
Ce n’est pas une recette à proprement parler, mais je pense qu’il peut être bon de questionner notre rapport à la communication. Le Pape François disait, dans son message pour la journée des communications sociales 2014 :
« Lorsque la communication est destinée avant tout à pousser à la consommation ou à la manipulation des personnes, nous sommes confrontés à une agression violente (…). Il ne suffit pas de passer le long des « routes » numériques, c'est-à-dire simplement d’être connecté : il est nécessaire que la connexion s'accompagne d’une rencontre vraie. Nous ne pouvons pas vivre seuls, renfermés sur nous-mêmes. Nous avons besoin d'aimer et d’être aimés. Nous avons besoin de tendresse. Ce ne sont pas les stratégies de communication qui en garantissent la beauté, la bonté et la vérité. (…) L’implication personnelle est la racine même de la fiabilité d'un communicateur. »
Observez les réponses que vous faites aux événements sur un mois, et vous constaterez vite que plus l’ami s’est personnellement impliqué pour vous transmettre l’invitation, plus votre esprit a accepté de la retenir. S’impliquer personnellement ne signifie pas qu’il faut mettre de grands moyens financiers ou adapter le média à la cible : des enveloppes pour les vieux, des vidéos de 30 secondes pour les jeunes. S’impliquer personnellement signifie mettre de l’affect. « C’est moi, qui t’invite, qui t’invite toi, et pas la terre entière ». Voilà le message le plus efficace.
Cela ne nous est pas seulement difficile parce que c’est chronophage ; cela nous est difficile d’une part parce que nous avons peur de nous impliquer dans quelque chose que nous n’assumons pas totalement, qui serait par exemple trop typé idéologiquement ou religieusement, et d’autre part parce que nous n’avons pas envie d’allouer à cette cause que nous prétendons défendre plus d’un certain pourcentage de notre temps : nous cloisonnons. Dans le premier cas, il faut peut-être faire preuve de plus de courage. Mais dans l’autre, peut-être doit-on se poser la question suivante : suis-je vraiment persuadé de l’importance de cette cause ? Et si non, pourquoi devrais-je attendre de mes amis qu’ils entendent ce message si je ne le juge pas assez important pour leur en parler directement, de personne à personne ?
Je ne dis pas ça pour vous décourager d'organiser des trucs... Simplement, faites baisser la pression !
Publié dans Dieu, Société | Commentaires (0) | Facebook | | | Isabelle | Tags : catholique
12/04/2018
Des subtilités de parvis, de la province à Paris
Les mondanités de parvis, vous connaissez ? C'est un truc passionnant, on pourrait en faire un mémoire de socio. Voire même une thèse.
Bon, si vous êtes un peu catho, genre au moins une fois de temps en temps, vous voyez de quoi je veux parler même sans avoir fait une recherche universitaire. A la sortie de la messe, un attroupement de paroissiens papote aimablement sur le parvis, en cercles plus ou moins larges, sur une durée qui s'étend de cinq minutes à une demi-heure. Ça se prolonge éventuellement autour d'une bouffe ou d'un verre.
Ces mondanité de parvis, qu'on retrouve presque partout, ont toutes cette même apparence ; mais sous la surface se cachent des réalités différentes... Voyez plutôt.
20h, un dimanche de début octobre, une église d'Etudiantville, grosse ville provinciale.
Quand Emmanuelle emménagea dans une petite chambre de bonne à Etudiantville, elle ne connaissait encore personne. A 21 ans, elle entamait sa troisième année d'étude à l'Ecole Supérieure de Trucs à Apprendre après deux ans de prépa. Il n'était donc que très naturel d'aller seule à la messe, le premier dimanche qui suivit son arrivée. En revenant de la communion, elle remarqua un gars vaguement croisé dans les couloirs de son école. La foule se pressait pour sortir de l'église, mais elle manœuvra habilement pour se retrouver à ses côtés*.
- Eh, salut, tu n'es pas à l'ESTA* ? Il me semble t'avoir croisé hier !
- Ah ouaaais je me disais bien que j'avais déjà vue quelque part ! Et ben c'est sympa ça, mais t'étais pas là à la soirée de l'aumônerie... T'es nouvelle ?
La conversation se poursuivit poliment jusqu'au parvis. Une fois descendues les quelques marches, notre étudiant - appelons-le Thibaut - retrouvait ses potes, comme tous les dimanches. Lui, ça faisait quatre ans qu'il était là : scoutisme, colocation, club de théâtre et petites chouilles entre potes... Disons qu'il avait fait son trou.
Emmanuelle garda une distance respectueuse et s'apprêtait même à s'éloigner en voyant un cercle se former à partir de Thibaut : mais celui-ci se retourna vers elle et lui fit signe d'avancer.
- Bon, c'est Emmanuelle, elle est aussi à l'ESTA, elle débarque...
- Salut, c'est Thomas, je suis en troisième année d'ingénieur et je suis le coloc de Thibaut...
- Sophie, je suis en école d'infirmière...
- Amicie, je suis en recherche d'emploi, motivée ah ah...
- Et moi c'est Côme. Bon les gars, on se fait un kebab là ? Emmanuelle, tu n'as rien d'autre de prévu ?
Deux ans et des brouettes plus tard, 19h45, un dimanche de janvier, une église de l'Ouest parisien.
Emmanuelle vient de commencer son stage de fin d'étude : elle part pour six mois de vie parisienne. Son copain - appelons-le Thibaut* - est en mission à Lyon jusqu'en septembre prochain. Pour faire son trou rapidement, elle s'est mise en coloc avec deux autres cathos grâce à un réseau d'annonces : une étudiante et une salariée. A son étonnement, ses deux colocataires ne lui ont pas proposée de l'accompagner à la messe. Chacune est partie de son côté. Elle s'est donc rendue à Saint-Machin, l'église la plus proche. En revenant de communier, elle aperçoit avec joie Amicie, avec qui elle s'entendait comme larrons en foire à Etudiantville deux ans plus tôt ; elles sont d'ailleurs toujours "en contact" via Facegram (ou un truc du style). Emmanuelle manœuvre habilement pour croiser Amicie en sortant de l'église.
- Oh Emmanuelle ! Trop sympa tu débarques à Paris ? J'avais vaguement suivi sur Instabook (ou un truc du style). Je savais pâââs que t'étais dans le quartier !!
- J'ai trouvé un stage dans une super boite, là, pour six mois, plutôt cool... Et toi ça va ? Toujours le même boulot ?
- Ecoute ça va, ouais, ça se passe plutôt bien, je suis en coloc dans le coin... Et la paroisse elle est super cool tu verras !
- Ouais trop bien j'ai vu qu'il y avait la masse de jeunes ce soir à la messe !
La conversation se poursuit le temps de sortir de l'église, de descendre du parvis, puis pour Amicie de retrouver ses potes. Emmanuelle reste quelques pas en arrière, poliment, attendant qu'on l'introduise. Amicie se retourne vers elle :
- Bon c'était trop cool de te voir ! Faudra qu'on se prenne un café un de ces quatre.
Et le cercle se referme devant Emmanuelle.
Qui rentre dîner seule, puisque ses colocs ne sont pas encore rentrées.
Prochain épisode : Emmanuelle mange une pizza avec les JP de Saint-Machin.
Aussi désagréable qu'est cette expérience - j'en ai fait les frais dans le temps - il faut faire l'effort de comprendre les origines du phénomène avant de jeter la pierre aux parisiens. Vous pourrez vous référer à l'article pas si débile (même s'il est écrit sur le ton de l'humour) le potentiel de potitude. Cela vous permettra peut-être de comprendre une des raisons pour lesquelles, après une intégration plus longue que souhaitée, vous ne serez pas épargnés par ce pli parisien... Rendez-vous dans deux ans !
* Si ça peut vous faire plaisir, vous pouvez imaginer qu'il était beau gosse.
* Si ça peut vous faire plaisir, vous pouvez imaginer que ça veut dire autre chose que Ecole Supérieure de Trucs à Apprendre.
* Si ça peut vous faire plaisir, vous pouvez imaginer que c'est le même Thibaut qu'au paragraphe précédent. Mais il n'est pas à Paris et ça, ça fait bien iéch.
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