22/01/2009
Le terrain
60% de mon stage se déroulait sur le terrain. Ce terrain était parfois difficile d’accès, en raison de mon origine visiblement européenne qui déclenchait la méfiance des populations, au premier abord en tout cas. J’ai d’autre part été envoyée à deux reprises dans des quartiers que l’on me déconseillait fort de visiter lorsque j’étais à l’ambassade de France ! Ce sont pourtant ces descentes sur le terrain qui ont été le plus profitables.
On m’a par exemple demandé un article sur les conducteurs de motos taxis à Yaoundé, appelés ben-skin. Les motos taxis sont le premier moyen de circuler dans de nombreux quartiers, ne disposant pas de routes goudronnées. Bien sûr, les adeptes du ben-skin circulent dans toute la ville grâce à ce moyen de transport pratique et rapide, en particulier aux heures de pointe. Les conducteurs, les « benskinneurs », vivent souvent de ce métier. Une directive de la Communauté Urbaine de Yaoundé demandait que l’accès du centre ville soit interdit aux ben-skins et imposait aussi des uniformes, immatriculations pour apporter à ce métier une régulation qui manquait. J’ai donc essayé de savoir comment les benskinneurs percevaient ces nouvelles mesures. Je savais pouvoir en rencontrer à l’entrée des quartiers populaires, et je me suis donc dirigée vers le quartier Obili, que je connaissais un peu. Les aborder ne posait pas de véritable problème : les benskinneurs sont en général prompts à draguer la blanche, pour dire les choses crûment. Plus difficile était de se faire prendre au sérieux. A ma surprise, dès que j’ai commencé à évoquer le sujet, ils sont devenus intarissables. J’ai eu du mal à déterminer si leur colère, qui se propageait à tout le quartier au fur et à mesure que la discussion avançait, les passants prenant eux aussi parti, n’était pas exagérée. En effet je me suis trouvée interpellée dès l’origine, non en tant que journaliste mais en tant qu’européenne. "Il faut que vous sachiez en Europe ce que nous on souffre de ce gouvernement !"; " Tout ça c’est la corruption, la mauvaise gouvernance ! Il faut que la France, les Etats-Unis et tout, vous interveniez !". Lorsque j’ai rapporté mon article, il n’a pas été censuré ni "corrigé", mais les personnes à qui je l’avais fait relire, un ami qui traînait à la rédaction au moment de sa rédaction et la journaliste pour le compte de qui je l’avais réalisé m’ont plusieurs fois demandé si je n’avais pas exagéré. De fait, suite à l’application de ces mesures, les benskinneurs ont violemment manifesté courant septembre à Yaoundé. Une autre enquête que j’anticipais avec inquiétude concernait le quartier de la Casse à Yaoundé : il s’agit de l’endroit où les voitures hors d’usage sont récupérées, démontées et recyclée. J’ai investi le quartier de Mvog-Ada, un des plus populaires de la ville. Les ateliers jouxtent les étalages et les cours des ferrailleurs. Depuis mon enquête sur les benskineurs, et sur les conseils d’amis journalistes, j’avais développé une stratégie qui consistait à me rendre vers la première personne venue, lui expliquer l’objet de ma visite, lui proposer une bière en discutant dans le cas où il serait du quartier et disposerait de son temps. Quel que soit l’endroit de la ville où je me trouvais, il y avait toujours une terrasse non loin. Cette personne me servait ensuite de guide et d’intermédiaire dans le quartier. A Mvog-Ada, un guide, intermédiaire et même interprète était nécessaire pour se retrouver dans la multitude des boutiques, dont certaines n’étaient accessibles que grâce aux raccourcis1. Cette fois, plus de drague ni de colère, mais certains conditionnaient leur réponse à l’argent, et voulaient négocier pour donner des renseignements !
Curieusement, le terrain qui a été le plus difficile d’aborder était celui dans lequel je me sentais le plus à l’aise et que je connaissais le mieux. J’ai proposé courant juillet au Rédacteur en Chef une enquête sur les étudiants camerounais en partance pour l’étranger. J’avais déjà de nombreux contacts au Consulat de France et au Centre pour les Etudes en France2. Se renseigner sur les modalités des départs à l’étranger, les inscriptions dans les facs, ou sur les tendances actuelles des étudiants était relativement aisé, par le biais d’Internet puis grâce à un chercheur qui étudiait les destinations favorites des étudiants camerounais. C’est le recueil de témoignage qui a été le plus difficile. Les étudiants refusaient de voir leur nom apparaître dans l’article, quand ils acceptaient de me parler ! Il est vrai qu’une blanche, française de surcroît, venant interroger les étudiants sur les bancs des salles d’attente de consulat avait de quoi éveiller les soupçons… sait-on jamais ! Etre étrangère me permettait de recueillir plus facilement les confidences des camerounais sur les affaires internes du pays. Au contraire, dès lors que le sujet touchait à la France, ou par extension à l’Europe, je n’étais plus considérée comme personnage neutre et un climat de méfiance s’instaurait.
Le terrain le plus simple à aborder a été celui du scoutisme. J’avais proposé à mon chef de rubrique, Jean Baptiste Ketchateng, un reportage sur le centenaire du scoutisme. Sur les conseils d’un ami, j’ai suggéré une pleine page commentant l’évènement, ce qui a été accepté par le REC A-B. Batongué. J’ai ainsi pu suivre quelques jours d’un camp, et faire jouer les contacts que j’avais déjà noués tout au long de l’année. Toutes les personnes interrogées étaient, de plus, ravies de cet article : le scoutisme camerounais est en perpétuelle quête de légitimité, tant au niveau mondial (les Scouts du Cameroun s’enorgueillissent d’être officiellement reconnus par le Bureau Mondial du Scoutisme situé à Londres) qu’au niveau national. Ils tenaient à médiatiser cet évènement dûment fêté : pendant l’année, les Scouts ont organisé Grands Camps et sorties en ville, ils ont défilé lors de la fête de la Jeunesse, et une délégation camerounaise était officiellement invitée au grand jamboree de Londres cet été. J’ai eu quelques remords à relater par le détail le récit du camp de la troupe de la Retraite, dans laquelle se trouvait par hasard la fille de l’ancien DP Haman Mana… Bien sur, la maîtrise avait pris position pour lui lors de la crise qui ne datait au moment de mon enquête que d’une semaine ! Ils n'ont pas caché qu'ils auraient préféré voir cet article publié dans le « Mutations Haman Mana ».
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21/01/2009
Rédiger
La rédaction posait beaucoup moins de soucis que le travail sur le terrain, mais je me heurtais toujours à un problème de longueur : j’écrivais trop. Un article mineur demande 2000 caractères. Un article plus détaillé, avec photo, en demande 3000 ou 3500. La pleine page concernant le scoutisme fait en tout 10 000 caractères ; j’en avais écris 12 000, un des articles, qui concernait l’histoire du scoutisme au Cameroun, a dû sauter.
Le seul article pour lequel la rédaction a vraiment posé problème était dédié à la page sport. Les stagiaires sont mis à la disposition du journal pendant le week-end ; mais il s’est trouvé un jeudi soir que j’étais seule pour prendre les consignes ! Le stagiaire affecté à la rubrique Sport n’étant pas là, c’est à moi qu’on a confié de suivre un match de rugby le surlendemain. Il faut avouer que je suis une totale néophyte en matière de rugby. "Tu n’as qu’à te débrouiller, on s’arrangera dimanche", et me voilà dans les tribunes à suivre le match mettant au prise le Cameroun et le Kenya. J’ai passé une heure et demie à noter le détail des commentaires, les avancées du jeu minute par minute, avant d’interroger quelques joueurs à l’issue de la rencontre. Le lendemain, le compte rendu du match que j’ai rapporté a suscité quelques sourires, mais finalement, seul le premier paragraphe sera modifié. D’autre part, cet article me vaudra d’être plusieurs fois interpellée aux alentours du journal, la page sport étant visiblement très lue !
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20/01/2009
Conclusions
Je dois avouer que ce stage, pour passionnant qu’il fut, n’a pas toujours été de tout repos. Cherchant sans cesse à approfondir mes enquêtes, je devais me faire violence pour décider d’apporter des articles qui me semblaient – parfois à tort – inachevés.
Ce stage a pourtant été la source de perpétuelles découvertes, notamment grâce à la politique suivie par le journal qui est d’envoyer les stagiaires au maximum sur le terrain, leur faisant étudier des sujets parfois à cent lieues de leurs préoccupations (j’ai ainsi bénéficié d’une formation accélérée dans les règles du rugby, et pu explorer le labyrinthe de la mairie de Yaoundé à plusieurs reprises). Mes collègues n’étant pas avares de conseils, je pense avoir véritablement eu l’occasion de me former durant ce stage.
J’ai apprécié en particulier l’ambiance et l’esprit d’entraide que l’on percevait dans les groupes de journalistes que je fréquentais, et regretté que cette ambiance soit moins perceptible à Mutations. Un climat un peu tendu, ce qui est aisément compréhensible au vu du contexte, contexte qui m’aura pourtant donné l’occasion de comprendre certains des rouages du quotidien. La concurrence exacerbée entre les deux tendances ne touchait pas les stagiaires, observateurs neutres.
Je me suis bien entendue avec le Rédacteur en Chef principal puis Directeur de Publication Alain Blaise Batongué, mon tuteur de stage au journal, qui a pris sur son temps malgré ses préoccupations, à l'époque nombreuses. Il s’avère pourtant que je me sentais plus proche personnellement des journalistes qui quittèrent la parution de la SMC pour suivre Haman Mana. J’ai un profond respect pour ce dernier, appréciant tant sa façon d’écrire que sa vision du journalisme au Cameroun.
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19/01/2009
Remerciements
Tout d’abord, un grand merci à monsieur Alain Blaise Batongué, qui m’a permis de réaliser ce stage et a donné son feu vert à plusieurs de mes articles.
Je remercie également les gens avec qui j’ai travaillé, Jean Baptiste Ketchateng chef de la rubrique « Education Jeunesse », et tout ceux qui m’ont relu, conseillé, envoyé sur le terrain… ils sont nombreux !
Une mention particulière à ceux qui ont choisi de suivre Haman Mana, en particulier Jean Bruno, maintenant chef de la rubrique « Sport » au journal Le Jour, toujours soucieux de la formation des stagiaires.
Je tiens enfin à faire part de ma gratitude envers David Atemkeng, chef de l’antenne à Yaoundé de Radio Equinoxe et rédacteur à La Nouvelle Expression, pour les très précieux conseils accordés en tout début de stage et que j’ai tachés de retenir de mon mieux.
Pour finir, je salue mes amis de Magic FM, en particulier l’irremplaçable Javis.
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18/01/2009
100 ans, en pleine santé !
Ceux qui pensaient que le scoutisme était une mode passagère, qui ne survivrait pas aux révolutions culturelles des années soixante et soixante dix, qui ne pourrait s’étendre ailleurs que dans cette vieille Europe férue d’uniforme et de protocole, se sont trompés.
Depuis maintenant un siècle, ce mouvement qui a pour inventeur un officier de l’armée anglaise continue sur sa lancée et séduit toujours autant de jeunes de par le monde. Pour l’occasion, un Jamboree mondial à Londres réunira 40 000 jeunes de plus de 150 pays. Il y a actuellement près de 38 millions de scouts dans le monde.
Baden Powell (voir encadré), officier de l’armée anglaise, a l’intuition du scoutisme en 1899, alors qu’il doit défendre la ville de Mafeking assiégée pendant 217 jours par les Boers. Il emploiera toutes les techniques de vieux broussard, acquises sur le terrain, mais son idée considérée comme la meilleure est sans doute celle d’utiliser de jeunes garçons, qui ne sont pas encore en âge de se battre, comme messagers ou éclaireurs. Cela donne un argument en faveur de ceux qui dénoncent dans le scoutisme l’aspect para militaire. A la décharge de " BP " (prononcez Bipi) il faut dire qu’il a largement contribué à rendre l’armée anglaise plus humaine, y défendant sans cesse la notion de jeu.
Baden Powell est un ancien soldat qui, après avoir vu la guerre, songe à construire la paix. Former les jeunes pour construire, pour servir, pour " faire de son mieux ", tel est un des idéaux du scoutisme. Divisé en trois branches, louveteau, éclaireur et routier, le scoutisme doit permettre à l’enfant de passer à l’âge adulte en apprenant progressivement à avancer seul. Si certains mouvements (notamment les Scouts de France) se sont un peu éloignés de ce principe (dit " unitaire "), l’idée générale de responsabiliser les jeunes en leur proposant de faire preuve de débrouillardise est restée.
En 1920, lors du premier Jamboree, Baden Powell déclare : "Partons d’ici avec la ferme détermination de développer […] cette camaraderie, par l’esprit mondial de la fraternité scoute, de façon à pouvoir contribuer au développement de la paix et du bonheur dans le monde et de la bonne volonté entre les hommes ".
S’il peut sembler anachronique aujourd’hui de se rassembler des "ados" autour d’un feu de camp plutôt que devant la télévision, ou de s’envoyer des messages en morse à l’heure d’Internet, le scoutisme est apprécié par les jeunes justement parce qu’il permet de retourner vers une nature que l’on oublie et que l’on maltraite, de vivre en société malgré l’individualisme croissant, de connaître des aventures malgré la modernité et la technologie qui ne laissent plus de place aux vieux explorateurs.
Ce goût de l’aventure et ce plaisir de l’exploration peuvent mener loin ! Le premier pas sur la lune fut le fait d’un ancien scout. Ce jour là, 21 juillet 1969, en franchissant ce "grand pas pour l’humanité ", Neil Armstrong portait sur lui l’insigne du scoutisme mondial. La fleur de lys qui indiquait le Nord sur les anciennes boussoles.
Publié le 31 juillet 2007 dans Mutations
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