27/01/2009
Mutations et la presse écrite au Cameroun
La plupart des journaux qui paraissent au Cameroun sont de fondation récente.
Comme le deuxième quotidien La Nouvelle Expression, le lancement de Mutations est directement corrélé à la mise en place de la liberté de la presse, que l’on date de la loi du 4 janvier 1996 officialisant la fin de la censure administrative. Il n’y avait avant cela qu’un grand journal de la presse privée, qui paraissait parfois irrégulièrement, Le Messager.
Le premier numéro de Mutations est daté du 8 juillet 1996, et les premiers numéros paraîtront dans des conditions financières extrêmement difficiles. A ce moment, le journal n’est encore qu’un hebdomadaire, puis il devient bihebdomadaire, trihebdomadaire et enfin le premier quotidien national privé du pays, voire même de la sous région (d’Afrique Centrale).
Mutations est une publication de la South Media Corporation (SMC), dont les principaux actionnaires sont les fondateurs du quotidien. La SMC édite également deux autres parutions, les Cahiers de Mutations et Situations ; ces deux dernières créations, plus récentes, sont considérées comme les enfants de Mutations. Possédant les mêmes pères fondateurs, ces deux parutions avaient jusqu’en juin dernier le même directeur de publication.
L’histoire de Mutations sera traversée de quelques tempêtes, liées aux difficultés financières ou aux pressions qui s’exercent sur la presse camerounaise. On retiendra par exemple l’arrestation du Directeur de Publication, Haman Mana, en avril 2003.
Il y a deux ans, le journal a été au centre d’un débat suite à la parution dans ses colonnes d’une liste de personnalités soupçonnées d’homosexualité (l’homosexualité est un délit au Cameroun, passible d’emprisonnement). Cette liste avait été publiée dans un premier temps par des journaux à sensations, issus de la « presse à gage » très virulente au Cameroun. La récupération de cette liste, dont on peut à juste titre douter de la véracité, dans les colonnes d’un quotidien qui s’enorgueillit d’être le plus sérieux avait fait scandale à l’époque, presque autant que la liste en elle-même.
En septembre 2006, Mutations a fait face à des accusations de corruption lors de l’affaire du mort du Hilton. Le journal a en effet été accusé d’avoir touché de l’argent pour dissimuler le nom du président de la chambre de commerce, Claude Juimo Monthe, soupçonné par certains d’avoir une part de responsabilité dans la mort d’un jeune homme à l’hôtel Hilton.
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26/01/2009
Situation du journal
Le quotidien jouit pourtant d’une très bonne réputation. Le journal s’est toujours voulu sans parti pris, mais on connaît l’engagement de certains de ses dirigeants au RDPC, le parti au pouvoir1. Les dirigeants sont parmi les premiers à faire la différence entre presse à gage et presse sérieuse, mettant tous les défauts sur le compte de la presse à gage. Très peu de quotidiens (Mutations, La Nouvelle Expression, Le Messager) peuvent être qualifiés de sérieux. Plus neutre et plus prospère, Mutations est unanimement considéré.
Contrairement à la plupart des organes de presse, le journal parait grâce à des journalistes payés relativement régulièrement et honorablement au regard de la situation globale des médias camerounais, ce qui n’est déjà pas si mal2.
Mutations possède un site Internet quotidiennement remis à jour, et donc peut-être lu gratuitement sur la Toile. Si cela joue en faveur de sa réputation, ce site est peut-être une des causes de la récente perte de lectorat. Le journal tire maintenant à moins de 4000 exemplaires, contre 10 000 à la fin des années 90. Ce phénomène, selon Haman Mana, serait du à un déficit de l’intérêt politique des camerounais, une « décitoyenneté » suivant l’enthousiasme provoqué dans les années 90 par le retour au multipartisme et la liberté de la presse. Le phénomène des « loueurs de journaux » (vendeurs laissant lire les clients moyennant rétribution puis ramenant les invendus) est encore une explication à cette crise qui touche l’ensemble de la presse écrite.
La réputation du journal tient bien sûr à sa qualité. Le journal Mutations s’est doté d’une Charte éditoriale pour pallier à l’absence de contrôle de la presse. Cette Charte est particulièrement sévère à l’encontre de l’incitation à la haine ethnique ou raciale, qui peut devenir un réel problème dans un pays comptant près de 300 ethnies différentes ! Le Rédacteur en Chef n’hésite pas à censurer certains articles, officiellement dans le but de préserver le sérieux du journal. Depuis quelques mois pourtant, certains observateurs au sein des autres organes de presse ou des agences et services de presse s’inquiètent d’une baisse de niveau de la ligne éditoriale.
Le journal laisse en effet une place de plus en plus importante aux faits divers, au sport et aux enquêtes sur des sujets fantaisistes, et de moins en moins à la politique ou l’analyse. La rubrique « symbiose » ou « vivre aujourd’hui » par exemple va se pencher sur des faits divers, des faits de société, développant souvent l’aspect sensationnel de l’information. Ainsi, le 3 juillet 2007 dans la rubrique « vivre aujourd’hui », un article de 3000 caractères a pour titre « Les militaires déshabillent les civils à Douala », et évoque la réaction des militaires par rapport à la mode des treillis et rangers chez les civils. Les sujets touchants à l’homosexualité, à la sorcellerie, à la médecine alternative ou (bien sûr !) aux stars du petit ballon rond trouvent toujours leur place dans les colonnes du journal, malgré la parution de Situations, magazine qui devait permettre au quotidien, d’après son (ancien) Directeur de Publication, de conserver sa ligne éditoriale sérieuse. Ce DP, Haman Mana, est à l’évidence conscient de cette dérive, assez récente d’après les observateurs. J’ai été surprise de noter le ton quelque peu méprisant qu’il employait lors des conférences de rédaction lorsque nous évoquions ces sujets (« j’ai aussi des livres d’Hanna Arendt dans mon bureau… si ça intéresse quelqu’un, bien sûr »). Apparemment, il existait une dissension en gestation au sujet de la ligne éditoriale du journal entre le DP et le Rédacteur en Chef à Yaoundé, Alain Blaise Batongué.
Le siège à Yaoundé
Mutations possède deux sièges, l’un à Yaoundé, le second à Douala. Chaque siège a un Rédacteur en Chef principal, et souvent un autre qui le seconde. Normalement, le Directeur de Publication couronne le tout. Les Rédacteurs en Chef délèguent ensuite leur pouvoir aux Chefs de Rubrique, qui me semblent assez nombreux par rapport au nombre de journalistes réguliers. Ceux-ci sont parfois secondés par un autre journaliste, quand leur rubrique est importante (politique, sport, société…). Les autres journalistes et les stagiaires se répartissent dans les rubriques en fonction des besoins.
Le journal sort du lundi au samedi ; on travaille donc du dimanche au jeudi compris. Un système de rotation permet de garder toujours quelques personnes sur le terrain pendant le week-end. Il y a deux conférences de rédaction principales, auxquelles sont conviées l’ensemble des journalistes, le lundi matin et le jeudi matin. Seuls le Rédacteur en Chef, les Chefs de Rubrique et le Directeur de Publication peuvent participer aux conférences de rédactions les autres jours. Les directives sont souvent données la veille, les conférences de rédaction se terminant parfois tard dans la matinée. Les horaires sont extrêmement flexibles : la journée commence officiellement à huit heure, le bouclage de l’édition se termine vers 22 heures, parfois plus tard. Il est toujours intéressant de rester jusqu’à la fin, cela permet souvent de voir passer ses articles et en tout cas de pouvoir les défendre. La taille réduite de la structure laisse en effet une large part aux relations humaines, et permet de s’imposer et d’avoir accès aux informations.
J’ai été surprise, lors de mes premières visites au siège, de constater l’étroitesse des lieux. En effet, le matériel et les locaux mis à disposition des journalistes semblaient disproportionnés par rapport à la réputation du journal. Le siège de Yaoundé est situé en face de la chambre d’agriculture, en plein centre ville. Il faut dix minutes à pied pour se rendre au CCF, au Marché Central, quinze pour atteindre la mairie (taxi 100 francs, alors que le tarif normal est de 200). Le bâtiment est construit sur plusieurs étages mais la rédaction de Mutations n’occupe que le premier : toilettes, standard, bureau des Rédacteurs en Chef, bureau du Directeur de Publication, salle de rédaction et deux autres bureaux pour les journalistes. Au centre de la salle de rédaction se dresse une grande table, autour des murs de nombreux ordinateurs : j’apprendrai au cours de mon stage qu’en fait, seulement la moitié fonctionnent correctement, et seulement trois d’entre eux disposent d’une connexion Internet. On trouve également dans la salle de rédaction une télévision et une radio.
1 Il faut savoir néanmoins que le parti pris des dirigeants reflète rarement le parti pris de l’organe de presse qu’ils ont à charge : ainsi, certaines des radios les plus virulentes lorsqu’il s’agit de dénoncer le pouvoir ont pour PDG un élu du RDPC !
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25/01/2009
Crise à Mutations
Une crise était latente depuis plusieurs mois, et mettait aux prises le Directeur de Publication Haman Mana avec le reste de la direction
Un rapport d’audit a été effectué au début de l’année, au terme duquel de « nombreux manquements » ont été constatés ainsi que des « fautes de gestion ». Si le compte rendu de ce rapport n’a jamais été dévoilé, une rumeur s’est répandue selon laquelle Haman Mana aurait financé une partie de la construction de sa maison avec des fonds appartenant au journal Mutations.
Toujours est-il qu’une crise financière secouait durement Mutations quelques semaines avant mon stage, et de nombreux licenciements étaient à craindre. Les tensions se sont rapidement faites sentir à la rédaction, et en dénouement de la crise, Haman Mana a perdu la direction des journaux Situations et Les Cahiers de Mutations, conservant toutefois sa place à Mutations. Le conflit qui l’opposait à la SMC, société éditrice de Mutations, était cependant loin d’être résolu. J’ai en effet et dès mon arrivée pu constater que Haman Mana, bien que toujours Directeur de Publication, n’avait plus qu’un pouvoir très limité sur le journal. La véritable responsabilité se trouvait, semble t-il, exercée par le Rédacteur en Chef.
La crise :
Haman Mana a rédigé, autour de mi-juillet, un éditorial qui s’est trouvé censuré. Le conflit l’oppose dès lors à Protaïs Ayangma, principal actionnaire de la South Media Corporation et co-fondateur du journal, implicitement visé par l’éditorial censuré. Le lundi 16 juillet, après avoir quitté la conférence de rédaction, Haman Mana déménage son bureau (qui s’ouvre sur la salle où avait lieu la réunion) et s’en va, déclarant qu’il n’attend plus rien de cette équipe. Sept journalistes le suivent dans le même temps : ceux qui prenaient position en sa faveur les semaines passées. Le lendemain, un événement bouleverse le monde des médias à Yaoundé : deux parutions sortent, toutes deux nommées Mutations, possédant même logo, même construction. L’une est dirigée par le Directeur de Publication par intérim Alain Blaise Batongué (qui finira par obtenir le poste définitivement), l’autre par le Directeur de Publication Haman Mana, qui clame avoir effectué le dépôt de la demande d’enregistrement des marques Mutations et Situations à son propre nom. Cet enregistrement s’est effectué le 26 janvier 2007, soit peu de temps après le fameux rapport d’audit souvent incriminé pour expliquer l’affaire. Il est donc fort probable que Haman Mana avait anticipé longtemps avant, et l’éditorial censuré ne fournissait qu’un prétexte à son départ.
La véritable raison de cette scission m’échappe. Il est fort probable que de nombreuses personnes à Mutations ne soient pas exemptes de détournements, corruptions et autres malversations1. D’autre part, le rapport d’audit n’a jamais été rendu public.
Fin du conflit :
Durant les mois de juillet et août, la crise perdure, les tribunaux se révélant plus ou moins incompétents alors que les « deux Mutations » revendiquent chaque renvoi comme une victoire pour son propre camp. Les fondateurs de Mutations se trouvent ainsi déchirés, car si Haman Mana n’est pas à l’origine de l’idée du journal, il n’en a pas moins été le DP depuis dix ans, et a grandement contribué à insuffler une dynamique à l’équipe. Il était plus populaire que son second, Alain Blaise Batongué, alors Rédacteur en Chef, tant auprès des journalistes de l’entreprise qu’à l’extérieur.
Les journalistes du « Mutations Batongué » se voient interdire tout contact avec leur collègue du « Mutations Haman ». Un climat quelque peu délétère s’instaure, pendant que tout le monde, lecteurs et journalistes, s’amuse de voir les deux Mutations se côtoyer dans les kiosques. Je dois dire que, si cette histoire prenait un tour quelque peu ridicule, elle a été du pain béni pour les vendeurs de journaux et le nombre d’invendus en fin de journée était bien plus faible qu’auparavant !
Le règlement du conflit s’est opéré grâce à une médiation. La SMC a abandonné les poursuites engagées contre les journalistes de Mutations accusés "d’abandon de poste". Haman Mana a fondé un nouveau quotidien, Le Jour, dont la parution a été abondamment commentée. Ce nouveau né est d’ores et déjà considéré par de nombreux journalistes comme le quatrième grand quotidien de la presse privée au Cameroun.
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24/01/2009
Deuxième partie : les Mutants
Si le journal utilise les stagiaires à son avantage, il faut reconnaître que tout est fait pour que nous profitions réellement de l’opportunité qui nous est donnée de faire un stage en journalisme. Les stagiaires vont donc fréquemment sur le terrain, seuls la plupart du temps. Pour ma part, j’ai été totalement lâchée dès le premier reportage ! Lorsque l’on nous demandait un article, nous avions la journée pour le réaliser, à moins qu’il ne s’agisse d’une enquête qui demandait plus de recherche, plus de profondeur. Les tâches affectées aux stagiaires comportent aussi la rédaction de brèves, la prise de photo pour le compte des rédacteurs, qu’on peut demander par exemple au moment de la mise en page. En dehors du terrain, les stagiaires restent habituellement au siège, où il finit toujours par se trouver quelqu’un pour demander un service ! Photo à prendre, renseignement à chercher sur Internet, document à porter à tel endroit de la ville…
La journée commençait entre 8h30 et 9h00, par une conférence de rédaction à laquelle nous participions les lundi et jeudi. Si nous n’avions pas déjà une tâche fixée la veille ou en cours, nous restions sur place jusqu’à se voir confier quelque chose. C’était aussi l’occasion de discuter entre stagiaires, où avec les journalistes qui ne s’étaient pas envolés sitôt la conférence achevée. Le beau temps nous trouvait souvent dehors, sur le parvis du bâtiment. Aux alentour de midi, des femmes s’installaient pour vendre de la nourriture : brochettes braisées, beignets, bananes, prunes cuites… Leur principale clientèle se composait des journalistes de Mutations. Il était rare de passer toute une journée au siège ; un stagiaire ne restait jamais longtemps oisif, et trouvait à s’occuper. Dans le cas où l’article demandé devait être prêt en soirée pour l’édition du lendemain, il fallait être rentré à 15 heures, ou 16 heures maximum, pour avoir le temps de rédiger, de se faire relire et de confier notre article à un journaliste qui puisse le proposer lors de la mise en page. La mise en page commence relativement tôt, en fin d’après midi, et finit tardivement, car il faut intégrer les articles de Douala. A Yaoundé, le bouclage de l’édition se fait autour de 21h30 ou 22 heures. C’était un moment intéressant, car il ne restait plus grand monde à la rédaction si ce n’est le REC principal, Alain Blaise Batongué, et deux ou trois journalistes travaillant dessus. Je suis restée assez fréquemment le soir à la rédaction. C’était un moment privilégié, lors duquel on pouvait apprendre les rumeurs avant même leur diffusion le lendemain matin ! Pendant la période précédent la crise, les fins d’après midi à Mutations pouvaient se révéler ainsi instructives pour comprendre ce qui se préparait.
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23/01/2009
Les articles
Dès le premier jour, mon chef de rubrique m’a demandé de proposer des articles concernant le secteur « éducation jeunesse ». Proposer et faire accepter un sujet est une des choses qui m’ont parues difficile dès le commencement, or la plupart des articles rédigés ont été de ma propre inspiration ! Le fait que je me trouvais dans un pays et dans un ville que je commençais à bien connaître aura été utile. Ayant travaillé précédemment sur le système scolaire au Cameroun, mes premiers articles ont par conséquent visés le domaine scolaire. J’avais aussi choisi ma rubrique en fonction des connaissances et des contacts que je possédais déjà. La question principale que je me posais avant de proposer un article était la question des contacts. Le premier sujet proposé concernait une école qui avait fermé en mars. La difficulté résidait dans le fait que la direction de l’école se faisait très discrète depuis la fermeture, et si les parents étaient prompts à raconter leurs turpitudes, il a été très difficile de réussir à "coincer" un des responsables de l’école ! J’ai compris à ce moment l’importance de connaître des sources d’information avant même de se lancer dans une enquête. La plupart des autres sujets sur lesquels j’ai travaillé m’ont posé peu de difficultés : la fin d’année au Collège Vogt (où j’étais logée), le centenaire du scoutisme (j’avais pris contact dès mon arrivée avec les groupes scouts du Cameroun), ou encore les étudiants en partance pour l’étranger, sujet plus difficile à aborder que je ne le pensais, la plupart de mes contacts se situant au Consulat Général de France ou au Centre Culturel Français… je n’avais pas de relations au sein des autres missions !
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