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26/01/2009

Situation du journal

Le quotidien jouit pourtant d’une très bonne réputation. Le journal s’est toujours voulu sans parti pris, mais on connaît l’engagement de certains de ses dirigeants au RDPC, le parti au pouvoir1. Les dirigeants sont parmi les premiers à faire la différence entre presse à gage et presse sérieuse, mettant tous les défauts sur le compte de la presse à gage. Très peu de quotidiens (Mutations, La Nouvelle Expression, Le Messager) peuvent être qualifiés de sérieux. Plus neutre et plus prospère, Mutations est unanimement considéré.

Contrairement à la plupart des organes de presse, le journal parait grâce à des journalistes payés relativement régulièrement et honorablement au regard de la situation globale des médias camerounais, ce qui n’est déjà pas si mal2.

Mutations possède un site Internet quotidiennement remis à jour, et donc peut-être lu gratuitement sur la Toile. Si cela joue en faveur de sa réputation, ce site est peut-être une des causes de la récente perte de lectorat. Le journal tire maintenant à moins de 4000 exemplaires, contre 10 000 à la fin des années 90. Ce phénomène, selon Haman Mana, serait du à un déficit de l’intérêt politique des camerounais, une « décitoyenneté » suivant l’enthousiasme provoqué dans les années 90 par le retour au multipartisme et la liberté de la presse. Le phénomène des « loueurs de journaux » (vendeurs laissant lire les clients moyennant rétribution puis ramenant les invendus) est encore une explication à cette crise qui touche l’ensemble de la presse écrite.

La réputation du journal tient bien sûr à sa qualité. Le journal Mutations s’est doté d’une Charte éditoriale pour pallier à l’absence de contrôle de la presse. Cette Charte est particulièrement sévère à l’encontre de l’incitation à la haine ethnique ou raciale, qui peut devenir un réel problème dans un pays comptant près de 300 ethnies différentes ! Le Rédacteur en Chef n’hésite pas à censurer certains articles, officiellement dans le but de préserver le sérieux du journal. Depuis quelques mois pourtant, certains observateurs au sein des autres organes de presse ou des agences et services de presse s’inquiètent d’une baisse de niveau de la ligne éditoriale.

Le journal laisse en effet une place de plus en plus importante aux faits divers, au sport et aux enquêtes sur des sujets fantaisistes, et de moins en moins à la politique ou l’analyse. La rubrique « symbiose » ou « vivre aujourd’hui » par exemple va se pencher sur des faits divers, des faits de société, développant souvent l’aspect sensationnel de l’information. Ainsi, le 3 juillet 2007 dans la rubrique « vivre aujourd’hui », un article de 3000 caractères a pour titre « Les militaires déshabillent les civils à Douala », et évoque la réaction des militaires par rapport à la mode des treillis et rangers chez les civils. Les sujets touchants à l’homosexualité, à la sorcellerie, à la médecine alternative ou (bien sûr !) aux stars du petit ballon rond trouvent toujours leur place dans les colonnes du journal, malgré la parution de Situations, magazine qui devait permettre au quotidien, d’après son (ancien) Directeur de Publication, de conserver sa ligne éditoriale sérieuse. Ce DP, Haman Mana, est à l’évidence conscient de cette dérive, assez récente d’après les observateurs. J’ai été surprise de noter le ton quelque peu méprisant qu’il employait lors des conférences de rédaction lorsque nous évoquions ces sujets (« j’ai aussi des livres d’Hanna Arendt dans mon bureau… si ça intéresse quelqu’un, bien sûr »). Apparemment, il existait une dissension en gestation au sujet de la ligne éditoriale du journal entre le DP et le Rédacteur en Chef à Yaoundé, Alain Blaise Batongué.

Le siège à Yaoundé

Mutations possède deux sièges, l’un à Yaoundé, le second à Douala. Chaque siège a un Rédacteur en Chef principal, et souvent un autre qui le seconde. Normalement, le Directeur de Publication couronne le tout. Les Rédacteurs en Chef délèguent ensuite leur pouvoir aux Chefs de Rubrique, qui me semblent assez nombreux par rapport au nombre de journalistes réguliers. Ceux-ci sont parfois secondés par un autre journaliste, quand leur rubrique est importante (politique, sport, société…). Les autres journalistes et les stagiaires se répartissent dans les rubriques en fonction des besoins.

Le journal sort du lundi au samedi ; on travaille donc du dimanche au jeudi compris. Un système de rotation permet de garder toujours quelques personnes sur le terrain pendant le week-end. Il y a deux conférences de rédaction principales, auxquelles sont conviées l’ensemble des journalistes, le lundi matin et le jeudi matin. Seuls le Rédacteur en Chef, les Chefs de Rubrique et le Directeur de Publication peuvent participer aux conférences de rédactions les autres jours. Les directives sont souvent données la veille, les conférences de rédaction se terminant parfois tard dans la matinée. Les horaires sont extrêmement flexibles : la journée commence officiellement à huit heure, le bouclage de l’édition se termine vers 22 heures, parfois plus tard. Il est toujours intéressant de rester jusqu’à la fin, cela permet souvent de voir passer ses articles et en tout cas de pouvoir les défendre. La taille réduite de la structure laisse en effet une large part aux relations humaines, et permet de s’imposer et d’avoir accès aux informations.

J’ai été surprise, lors de mes premières visites au siège, de constater l’étroitesse des lieux. En effet, le matériel et les locaux mis à disposition des journalistes semblaient disproportionnés par rapport à la réputation du journal. Le siège de Yaoundé est situé en face de la chambre d’agriculture, en plein centre ville. Il faut dix minutes à pied pour se rendre au CCF, au Marché Central, quinze pour atteindre la mairie (taxi 100 francs, alors que le tarif normal est de 200). Le bâtiment est construit sur plusieurs étages mais la rédaction de Mutations n’occupe que le premier : toilettes, standard, bureau des Rédacteurs en Chef, bureau du Directeur de Publication, salle de rédaction et deux autres bureaux pour les journalistes. Au centre de la salle de rédaction se dresse une grande table, autour des murs de nombreux ordinateurs : j’apprendrai au cours de mon stage qu’en fait, seulement la moitié fonctionnent correctement, et seulement trois d’entre eux disposent d’une connexion Internet. On trouve également dans la salle de rédaction une télévision et une radio.

1 Il faut savoir néanmoins que le parti pris des dirigeants reflète rarement le parti pris de l’organe de presse qu’ils ont à charge : ainsi, certaines des radios les plus virulentes lorsqu’il s’agit de dénoncer le pouvoir ont pour PDG un élu du RDPC !

2 J’ai connu des cas de journalistes n’ayant pas perçu de salaire pendant six mois d’affilée, ou dont les frais de reportage sont à leur charge… c’est hélas très fréquent au Cameroun.

Publié dans Cameroun, Far Away | Commentaires (0) |  Facebook | | | Isabelle

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