07/10/2019
Salut les cathos ! C’est quoi la priorité aujourd’hui : conserver ses ouailles ou évangéliser ?
“A partir de la 4ème c'est un programme post-confirmation qui est proposé.
Je suis tombée sur une phrase qui ressemblait grosso modo à celle-ci et ça m’a tellement interrogé que j’ai commencé un petit post facebook. A force de creuser, le post est devenu un article... Que je soumets à votre lecture.
Dans cette paroisse, la confirmation est proposée en 5ème. Bien-sûr, en apparence sans faire état de l'âge du jeune qui pourrait avoir un an d'avance ou de retard, et sans faire état de sa maturité spirituelle et de ses besoins. Mais c'est une autre question. Ce qui m’intéresse ici, c’est que la paroisse semble du coup partir du principe que tous les jeunes de 4ème qui se ramènent à l'aumônerie étaient nécessairement là les années précédentes. Ou alors ils viennent d'emménager, mais qu'ils ont forcément été Confirmés ailleurs. Le jeune qui, après 13-14 ans, n'aurait pas reçu la Confirmation, il n'est pas prévu de lui proposer un parcours propre. En tout cas, en apparence.
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Apparté - Je ne parle que des apparences ; telle ou telle paroisse pourrait me répondre qu’en fait, etc.. Ici, ce n’est pas la réalité qui m’intéresse. En tant qu’animatrice d’un site internet, je m’inquiète d’abord de l’image de la réalité que cette interface va renvoyer. Internet, c’est souvent le premier visage de l’Eglise que voient les parents ou les jeunes curieux, qui ont tapé trois mots clés dans Google parce que bien (trop) souvent ils n’osaient pas trop en parler aux copains ou aux proches. Si on donne dès ce premier clic l’impression qu’on est bien, entre nous, et qu’on n’a pas trop trop prévu d’accueillir ce jeune ou cette famille, c’est chaud !
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Constat, réaction
En dehors du fait que le message envoyé à un jeune venu d'un peu plus loin qui souhaiterait pousser la porte de l'église - voire de l'Eglise - est bancal et maladroit, l'analyse de la mentalité pastorale que cela pourrait révéler est intéressante. L'énergie serait uniquement consacrée à garder ceux qui sont là. C'est basé sur un constat : les jeunes issus de famille non pratiquante n'ont que trop tendance à lâcher la pratique religieuse une fois qu'ils ont le package baptême-communion-confirmation. Ce constat est juste. Refuser de le voir serait certainement faire preuve d’un angélisme béat. Et il est rassurant de voir que certaines paroisses/communautés proposent des solutions : saine réaction. Ces jeunes ont encore besoin d’être cocoonés, instruits, nourris, intégrés.
“Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé, que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu. (...) Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix. (Mt 25, 26-28)
Problème évangélique
De fait il est difficile de faire preuve d'audace quand notre énergie est consacrée à conserver nos acquis. La peur paralyse le missionnaire, et il faut une sacrée audace pour sortir de chez soi quand on a la trouille. Les apôtres n'auraient pas fait grand-chose sans la Pentecôte... Mais du coup, quel est l’objectif de ce parcours "post-confirmation" : ne devrait-il pas être d'abord consacré à envoyer le jeune confirmé en mission ? Les apôtres ne sont pas restés cloîtrés au Cénacle après avoir reçu l'Esprit-Saint...
Si la formation du jeune confirmé est tournée vers la mission, ne devrait-on pas prévoir d’accueillir les poissons qu’il ramènera dans ses filets ? Le groupe ne devrait-il pas encourager dans sa structure même les petites pêches et les grandes ? Quel est le sens de s’adresser à des jeunes confirmés sans envoyer aucun message missionnaire ? Ce qui est certain, c’est que communiquer uniquement en direction des post-confirmés ne va pas les aider à vivre comme des confirmés.
“À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. (Mt 25, 29)
Faisons gaffe : les évangiles aiment ce genre de paradoxe. Et suivant cette même logique, celui qui a pour premier but de conserver ses ouailles risque de perdre celles-là même qu’il cherchait à garder. C’est cruel... Surtout quand on n’a pas de pistes, pas de moyens, et qu’on essaie déjà de ramasser les débris d’une église qui continue de brûler. La bonne nouvelle c’est qu’un paquet de gens y réfléchissent aussi ; j’en ai rencontré un bon nombre le WE dernier au Congrès Mission 2019. Il y a mêmes des tas d’excellents livres sur la question. On ne peut pas dire qu’on n’a pas les moyens de creuser !
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11/07/2019
Les VIP du pèlerinage de Chartres
C'était la première fois de ma vie que je faisais partie du premier chapitre à entrer dans la Cathédrale de Chartres en ce lundi de Pentecôte.
Pour ceux qui l'ignorent, chaque année, plus de 10 000 pèlerins marchent de Paris à Chartres lors du pèlerinage de Pentecôte organisé par l'association Notre-Dame de Chrétienté. 10 000 pèlerins, ça n'entre pas dans une seule cathédrale, même celle de Chartres. Les places sont "chères", et la plupart des marcheurs doivent se contenter d'une place au soleil ou sous la pluie, sur le parvis et autour de la cathédrale, avec heureusement des écrans et des haut-parleurs pour suivre la sainte Messe.
Aussi, lorsque les pèlerins prennent la marche le lundi matin, seuls les premiers chapitres (groupes de pèlerins marchant ensembles durant les trois jours) savent qu'ils entreront ; et toute la journée, les resquilleurs s'affairent à remonter la colonne pour tenter de se faire une place parmi les élus.
Cette année, j'étais donc dans les premiers. On avait une sacrée pêche ! Une fois entrés dans la cathédrale, on nous fait asseoir à partir de la deuxième rangée. La première rangée est réservée. Nous nous sommes tous vaguement demandé à quels VIP étaient destinés ces sièges. Comment l'aurions-nous su, c'était la première fois en cinq ans que j'entrais dans la cathédrale ! Je n'avais jamais vu ces places. Quelle personnalité suffisamment importante allait venir assister à la Messe juste devant nous ?
Et puis bizarrement, quand nous avons vu entrer les VIP tant attendus, nous n'avons pas été surpris. C'était normal, en fait. On était même un peu étonné de s'être posé la question. C'était tellement évident, que ces places étaient pour eux.
Dans la paroisse de mes parents, une paroisse ordinaire de province, la première place leur est également réservée. Et chaque fois que je retourne m'asseoir après la communion je me fais la réflexion : à qui devons réserver les places d'honneur ?
... une fois à la maison, Jésus leur demanda :
« De quoi discutiez-vous en chemin ? »
Ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. S’étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit :
« Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. »
Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa, et leur dit :
« Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »
Marc 9, 33-37 - AELF
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09/07/2019
Affaire Vincent Lambert : la seule victoire qui compte dans l'éternité
« Si c’est un homme ? » C'est le premier travail des partisans de la mort d'un homme : retirer dans l'opinion publique les attributs de personne humaine à celui qu'on veut faire mourir, le déshumaniser pour le tuer proprement. On le fait passer pour une bête, ou mieux, pour un légume ; car la mort des animaux suscite encore trop d'émotion.
Mais M. Vincent Lambert était encore moins qu'un légume. C'est un symbole ; et les symboles ne bénéficient pas des droits de l'Homme ni des inquiétudes écologiques. Les symboles n'ont pas de citoyenneté, de nationalité, de vie, de corps ou d'âme ; ils n'ont même pas de consistances, de gènes, de cellules, de molécules. Les symboles sont des idées, des choses qui ne peuvent pas mourir puisqu'elles n'ont jamais été vivantes, pas vivantes au sens où on l'entend quand on est biologiste ou médecin. Les symboles n'ont pas un cœur de chair, ni d'artères, ni de poumons. Ou du moins ce cœur est symbolique ; c'est le noyau de leurs défenseurs. Leurs artères, c'est les médias, les réseaux sociaux, tout ce qui permet d'alimenter et de répandre le symbole. Leurs poumons, ce sont chacun de ceux qui apportent leur pierre à l'édifice en partageant, commentant, discutant du symbole. On ne tue pas un symbole ; on le fait disparaître. Le symbole n'est pas victime de meurtre : il est tombe dans l'oubli.
Il n'est plus nécessaire de faire passer un homme pour un légume, lorsqu'il est devenu un symbole ; ce serait lui donner encore trop de consistance. Mais surtout, sa mort devient inéluctable. Car le symbole est plus qu'un champ de bataille. Il est l'enjeu même de la bataille, l'arme absolue, par laquelle la bataille peut prendre un tour, ou une autre. S'il disparaît, un camp gagne. S'il perdure, ce même camp souffre une défaite terrible. Si sa résistance devait être entérinée de manière définitive par l'Institution, la défaite serait un Hiroshima, un Nagasaki. La pitié n'était déjà plus de mise avec sa déshumanisation. Mais sa symbolisation le rend désormais inaccessible à la raison. On n'a plus le choix ; maintenant qu'il devenu l'enjeu du combat, il faut gagner, et toute la guerre semble se réduire à cette seule bataille. Même les émotions les plus sincères contribuent au processus, quand ces émotions émanent de la bataille. Quand bien même M. Lambert aurait retrouvé des facultés cognitives lui permettant de converser au cours des dernières semaines, il serait resté muet aux oreilles du monde qui veut le laisser mourir.
On pensait donner à un homme plus de chance de survie en levant une armée pour le défendre. En levant cette armée, on a participé à faire de cet homme un symbole, rendant impossible pour le camp qui convoitait sa mort de rendre les armes avec discrétion - donc, rendant impossible une fin apaisée de la bataille. Car en levant une armée pour défendre un otage nous contribuons à en faire le symbole d’une cause. Son nom devient un point de ralliement. En un cri de victoire impersonnel qui ne vient ni d’amis ni de familiers mais de militants, d’inconnus, nous finissons le travail de déshumanisation. « On a gagné » ; voilà comment on appelle une défaite. « On », des inconnus qui pensent que des manifestants peuvent et doivent influencer une décision de justice ; le mal ne peut servir un bien, et on aura beau jeu de dénoncer par la suite l’influence de l’opinion publique sur les tribunaux quand ceux-ci rendent la décision que nous désapprouvons. « Gagné », un mot pour qualifier la simple reconnaissance de ce qui est pour nous une évidence. Pendant ce temps, la souffrance et la division continuent. Et plus on enfonce cette crise dans un combat qui dépasse la vie d’un seul homme, plus on le condamne à mourir : crier victoire, c’est réveiller l’ennemi. Car ne nous leurrons pas ; le sens de l'histoire, c'est la défaite de ceux qui prônent la vie et la dignité intrinsèque de l’Homme. Arrêtons de nous aveugler ! Le soir même où certains criaient victoire, il fallait un miracle pour que le barrage ne cède pas : l’étendard des perdants doit brûler, le symbole des vaincus ne verra pas l’aube de la victoire.
Les avocats ont réfléchi à ce qu'ils faisaient, et sans doute leur échec signifie-t-il seulement qu'il n'existait pas, en fait, de stratégie efficace ; simplement des possibilités de répits, des digues de sable pour arrêter les premières vagues de la marée montante.
Très bien, diront certains, il nous faut bien des champs de bataille, des armes – et pourquoi pas des martyrs ! – pour que la lutte continue. Mais là où mon cœur se serre, c'est que c'est bien un homme qui meurt, avec la complicité de ceux dont la mission était de veiller sur lui, et cet homme-là n’a jamais consenti au martyr. Voilà ; et c'est tout. Des condamnés innocents il y en a tous les jours. Ne les désincarnons pas trop vite en en faisant des symboles, si nous croyons en leur dignité. Et n'oublions pas que le combat essentiel c’est la gloire de Dieu et le Salut des Hommes. Au moment où ils seront face à l'Amour tout-puissant dont l'humanité lâche ou perfide leur a donné peu d'aperçu dans cette vie, quel sera le dernier - et parfois le premier – mouvement de leur cœur ? Un sursaut de miséricorde et d'amour ? Ou la révolte et la haine ?
Quand toutes nos paroles et toutes nos actions n’auront pas servi à sauver la vie de ceux qu’on aime, la prière silencieuse et humble qui accompagne les derniers souffles d’un Homme peut encore remporter la seule victoire qui compte dans l’éternité. Et prions aussi – surtout – pour ceux qui, n’ayant pas cette Espérance, voudraient priver de sa chaleur le cœur des Hommes de notre temps.
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06/03/2019
Magie et christianisme
J’entends encore des gens, des amis, des proches, souvent très pratiquants, me dire leur méfiance vis-à-vis de Harry Potter. D’autres balaient d’un revers de main ces inquiétudes, sous le prétexte qu’elles émanent de personnes proches d’une certaine tendance, conservatrice, « tradi » comme on dit.
Je n’aime pas refuser de considérer quelqu’un comme interlocuteur valable sous prétexte qu’il fréquenterait tel ou tel cercle ; d’abord parce que j’aime partir du principe que chaque être humain est doué de raison, même si la vie me donne parfois tort (à commencer par la mienne) ; d’autre part parce qu’il existe peu de cercles catholiques qui me sont étrangers, ce qui me rend également plus compréhensive vis-à-vis des grandes tendances chrétiennes en général (car souvent les fractures qu’on trouve dans l’Eglise Catholique reflètent d’autres fractures qu’on retrouve dans le monde chrétien). Aussi, loin de hausser des épaules et de passer mon chemin avec indifférence (parce que Harry Potter, on s’en fiche un peu), j’ai tendance à répondre, à expliquer.
On raconte ainsi que les sorts que l’on trouve dans Harry Potter sont de vrais sortilèges, utilisés par de vrais sorciers qui pratiquent une vraie magie – nécessairement maléfique puisque la Bible et l’enseignement de l’Eglise nous enseignent que la magie est l’œuvre de Satan.
On dira donc, par conséquent, que la magie de Harry Potter initie les jeunes au satanisme, à coup de jeux de mots en latin de cuisine mêlé d’anglais ou d’autres langues que J.K., en linguiste, a pu croiser.
Ne riez pas, ce n’est pas si absurde que cela.
Il y a sûrement beaucoup de vrai dans les rumeurs. Les symboles, les mots, les images employés par l’auteur puisent certainement dans les codes de la sorcellerie. Mais Rowling n’a pas besoin d’être luciférienne pour cela. Il lui suffit de connaître les œuvres de la culture pop, de X-Files à Buffy, et de savoir effectuer une recherche dans Google : n’importe qui peut en faire autant. Ces codes culturels sont à la portée de tous depuis déjà un bail.
Mais il n’y a pas qu’une forme de magie dans la culture pop.
Rappelons tout d’abord les différentes natures de l’acte magique, telles qu’on les retrouve dans d’autres œuvres. Lorsque Sam Gamegie demande à Galadriel de lui montrer un peu de « magie elfe », celle-ci le reprend : « c'est ce que vous autres appelleriez magie, je pense, bien que je ne comprenne pas ce que vous entendez par là ; et vous avez l'air d'utiliser le même mot pour les tromperies de l'Ennemi ». La citation résume le tout : nous utilisons le même mot, dans la littérature d’imagination, pour décrire des réalités de natures différentes.
La magie d'artifice
Commençons par la magie artificielle, avatar féérique de la technologie (celle utilisée par le précepteur du Prince Capsian dans Narnia), qui est la plus courante dans Harry Potter : cette magie utilise une force endogène à la personne, qui est née avec ces pouvoirs de la même manière que les oiseaux naissent avec des ailes. On ne peut donc obtenir de nouveaux pouvoirs, simplement apprendre à utiliser ceux que l’on possède déjà par nature. Cette magie est comparable à la Force de l’univers de Star Wars dans sa première trilogie (on l’a, ou on ne l’a pas ; on ne peut l’acquérir quand on ne l’a pas de naissance, on ne peut que la domestiquer si on l’a reçue de naissance). Cette magie appartient au monde de l’imagination, car dans le monde primaire (notre monde, celui créé par Dieu), personne n’a naturellement de pouvoirs magiques, pas plus que les êtres humains ne naissent avec des ailes. Evidemment, si je rencontrais un cheval qui parle dans la « vraie vie », en bonne bigote, je crierais à la manifestation démoniaque. Mais le propre de l’imagination est de concevoir des univers qui répondent à des lois physiques différentes des nôtres : Spiderman peut se suspendre à un plafond, Luke Skywalker est doué de télékinésie et Philippe, le cheval d’Edmund Pevensie, parle.
La magie réaliste
Venons-en maintenant à la magie réaliste, la vraie magie, celle que le christianisme (parmi d’autres religions comme l’Islam ou le Judaïsme, ne connaissant pas toutes les religions et sagesse du monde je m’arrêterais là), condamne sous le nom de sorcellerie. Pourquoi ces religions condamnent-elles la pratique de la magie ? Je ne peux pas répondre pour toutes, mais je dirais, selon mes souvenirs de caté, ce que le chrétien pense (a priori), et tant mieux si les autres y trouvent aussi leur compte. Pour le chrétien, la pratique réelle de la magie – la sorcellerie – n’est pas l’expression d’un don naturel fait à l’homme. C’est un pouvoir accordé par Satan, qu’il donne à notre insu pour nous piéger, ou que l’on obtient volontairement de lui. La magie réaliste est donc invocatoire : le sorcier invoque une force extérieure à lui-même dans le but de la domestiquer, de l’utiliser. Il n’est pas nécessairement conscient de l’origine de cette force. C’est la magie de l’Anneau Unique : elle est intrinsèquement mauvaise puisqu'elle émane de celui qui n’a rien de bon en lui. L’être humain n’aura que l’illusion de contrôler cette magie ; de fait, c’est elle qui le contrôlera. Invocation des esprits, nécromancie, divination, cette magie fait le bonheur du cinéma d’horreur et des charlatans en tous genres. Ce n’est pas seulement son objet qui est mauvais, c’est son essence. « J'utiliserais cet Anneau en souhaitant faire le bien. Mais à travers moi, il pourrait atteindre un pouvoir trop grand, trop terrible à imaginer, » dit Gandalf. Cette magie n’est pas, à proprement parler, présente dans Harry Potter, encore qu’il existe bien un interdit fondamental : la mort. Les Reliques sont des objets dangereux, donnés par la Mort à trois frères, mais ces trois objets sont dangereux par le pouvoir qu’ils donnent sur la mort et que la mort utilise à son escient. Ainsi, en croyant duper la mort à l’aide d’une baguette invincible ou d’une pierre de résurrection, les frères se jettent dans ses bras. La morale philosophique du paradoxe ne nous échappera pas : en croyant lutter contre le mal par le mal, nous participons à étendre le mal. Seul le troisième frère du récit ne tombe pas sous la domination de la mort, car l’objet de sa demande n’est pas d’obtenir un pouvoir sur la mort, mais de lui échapper : son souhait est en fait de ne jamais avoir rencontré la mort, alors que ses deux frères souhaitent profiter de cette rencontre : au final, c’est la mort qui en tirera profit. De même, l’usage de la sorcellerie est une façon de profiter de Satan, profit illusoire, car le bénéficiaire final de la sorcellerie, ce sera lui. Le fait est que cette forme de magie est bien condamnée dans Harry Potter ! Si Harry parvient à vaincre la mort, c’est justement en renonçant à la vaincre, en donnant sa vie pour que meurt le mal en lui. Car la mort est devenue nécessaire au monde pour que meurt le mal ; c’est ainsi que la mort ne pourra être détruite avant que le reste ne soit détruit, « et le dernier ennemi qui sera vaincu c’est la mort ».
La plus grande magie
La troisième forme de magie – qu’on retrouve dans tous les bons morceaux de fantasy – c’est ce que Lewis appelle « la plus grande magie ». « D'autres forces qui sont à l’œuvre », écrit Tolkien. Rowling dit simplement, l’amour. L’amour est universel : il passe même à travers la tante de Harry, moldue (sans pouvoir magique). Il passe à travers les esclaves, les petits, les humbles : Dobby ou Grawp (quoi que qualifier Grawp de petit est cocasse). Il ne dépend donc pas de compétences, de talents ou de pouvoirs. La mère de Harry sauve son fils en donnant sa vie pour lui ; elle se dresse entre Voldemort et le berceau de son fils. Elle aurait pu accomplir cet acte, qui est fondateur pour l’histoire puisque tout va en découler, sans être magicienne, ou même talentueuse. Et cette magie est plus puissante que tout le reste. Plus puissante que les invocations de Voldemort, plus puissante que les plans les plus intelligents, que la cruauté la plus gratuite, que la volonté la plus absolue. C’est cette magie qui finit par vaincre… Je pourrais m’étendre longtemps, mais je pense que le lecteur aura compris. Cette magie est tout l’opposé de la précédente. Elle met l’humilité à la place de la puissance, la liberté à la place de l’allégeance. Au lieu de la captation de pouvoir, elle se veut don de soi. Elle ne parle pas de soumission à une force extérieure, mais d’obéissance libre. Elle transforme la mort en un surplus d’amour, et ainsi même la mort est vaincue.
La bonne nouvelle, c’est que cette magie est bien réelle ; elle est aussi la seule à être éternelle. Comme disait l’autre*, « L’amour ne passera jamais ». Et Dieu est amour.
La place des trois magies dans Harry Potter
Toutes ces formes de magie existent dans Harry Potter. La première, la plus courante puisque c’est elle qui est la marque du « Potterverse » l’univers de Harry Potter, le décor si vous voulez, est vue de façon neutre : c’est l’intention qui lui donne sens.
Des deux « réalistes », la troisième s’avère plus puissante que la deuxième (ou même que la première). L’amour se révèle plus puissant que la sorcellerie de Voldemort. Se pourrait-il que Rowling fasse la promotion de cette dernière, alors même que sa défaite est sans appel ? La question est rhétorique : une œuvre peut-elle se contredire elle-même ?
Alors, après avoir dit tout cela, qu’ajouter ? Je pourrais dresser la liste de tous les éléments dans Harry Potter qui proviennent de la sorcellerie telle qu’elle peut se pratiquer dans notre monde ; si j’ajoutais à cette liste le détail de toutes les mauvaises paroles prononcées par les personnages des livres, insultes, mensonges, menaces ; si je le complétais par la description de toutes les mauvaises actions, les meurtres, les tortures, les horreurs perpétrés dans l’histoire ; et si je publiais ensuite le compte-rendu de cette analyse sans, à aucun moment, remettre dans son contexte aucun des points de la liste, sauf lorsque ce contexte m’arrange, alors je pousserais mes lecteurs à commettre un contre-sens complet sur le sens philosophique de l’histoire.
Or, à mon sens, le cœur d’une histoire est sa philosophie. Comment le héros évolue, quel est le moteur de ses actions, la raison de ses pensées, l’enchaînement de circonstances qui le conduit à se comporter bien, ou mal ? Quelles sont les conséquences de ses bonnes actions ? Les conséquences de ses lâchetés, de ses renoncements ? L’histoire nous pousse-t-elle à l’abnégation ou au désespoir ? Que dit l’œuvre de l’Homme, de son identité, de sa vocation, de son rapport aux autres ? Que dit l’œuvre de la vérité, de la justice, du courage ? Que dit l’œuvre du Bien et du mal, de la Vie et de la mort, du sacrifice, de l’égoïsme ?
Si d’une œuvre vous ne retenez que le décor, alors vous êtes passés à côté. Si vous réorganisez ce décor pour lui faire dire le contraire de ce que l’histoire raconte, vous prêtez à l’auteur une intention qu’elle n’a jamais revendiquée ; mais c’est après tout votre droit de lecteur, et je ne critique pas l’esprit critique dans son principe. Enfin, si vous prétendez ensuite que ce décor permettrait de découvrir un sens implicite, secret, réservé à des initiés, mais plus important que le sens philosophique explicite qu’il contredit, je ne peux rien répondre à cela ; nous demeurerons dans une incompréhension mutuelle et totale. Car dès lors qu’on entre dans l’implicite, le subliminal, l’intention cachée, le message dont la compréhension ne serait réservée qu’à des initiés, on entre également dans le domaine d’une opinion subjective non fondée sur des faits vérifiables, et une telle opinion n’est pas accessible à la raison. Tout ce que je peux dire, c’est qu’un tel travail, admirable par son exhaustivité, ne respecterait aucune éthique intellectuelle et aucune rigueur scientifique mise à part celle qui consiste à compter les feuilles d’un arbre. Vous saurez compter, c’est bien, bravo ! Mais cela ne fera pas de vous un expert des arbres en général ou de celui-ci en particulier.
Quant à moi, je serais tentée de faire correspondre les éléments du décor au sens philosophique de l’histoire, non en leur donnant le sens qu’ils auraient dû avoir dans la réalité, mais le sens que la majorité des gens y met, car c’est l’interprétation du lecteur et non l’intention de l’auteur qui met en mouvement la « machine paresseuse » pour donner sens à l’histoire. Pour lire la même histoire, il faut parler la même langue et partager une même culture. Si vous lisez Harry Potter avec à l’esprit la sorcellerie de l’Exorciste, là où 99,99% n'y voient que la magie des contes de fées, nous ne lirons pas la même histoire.
Je le regrette pour vous : c’est une belle histoire.
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08/02/2019
Pourquoi vos potes ont zappé ce super événement catho parisien que vous organisiez
Vous avez monté une super soirée catho, un truc de ouf, les photos circulent sur insta, et là un copain vous enguirlande : « ouais mais j’étais pas au courant, comment ça se fait ? »
Pourtant vous avez tout essayé. Vous avez payé de la pub sur les réseaux sociaux, passé du temps à choisir les filtres, envoyé des mailings, invité tous vos contacts. Alors bien-sûr vous n’avez pas non plus harcelé les gens avec des tonnes de textos : en plus, la loi RGPD ne vous autorise pas non plus à faire n’importe quoi. D'ailleurs, le spam sauvage n’a pas bonne presse.
Vous êtes absolument certain que ce copain a reçu l’information. Vous avez vérifié qu’il était dans le mailing. Il est également abonné aux cinq pages facebook qui ont abondamment relayé l’événement, il suit l’association sur Insta et sur Twitter, et vous avez eu l’impression de ne parler que de ça pendant les trois semaines précédentes.
S’il était le seul, encore. « Mes enfants n’étaient pas au courant… » « Zut, mais comment j’ai pu louper ça ? » Les algorithmes et outils anti-spams ne peuvent tout de même pas expliquer que le même qui a liké votre événement vous assure deux semaines plus tard qu’il n’était « pas au courant ».
Alors que s’est-il passé ?
Il s’est passé que votre ami, comme n’importe qui, a une mémoire sélective. L’information est passée sous ses yeux. Oui. Comme des centaines d’informations chaque jour, et la vôtre n’était tout simplement pas prioritaire : son esprit l’a aussitôt jetée aux oubliettes, pour éviter de s’encombrer avec. Il n'est pas hostile : il est imperméable. Comme vous, d'ailleurs. Comme tout le monde.
Regardez l’agenda d’un jeune célibataire catholique citadin. Retirons ceux qui viennent d'arriver et qui cherchent désespéramment à faire leur trou. Quand on a deux soirs de libres par semaine, c’est déjà bien. Entre les veillées de prière, les conférences, les afterworks et les engagements caritatifs, les amis ont bien du mal à trouver leur place. Et si comme moi vous faites du sport plusieurs fois par semaine, vous êtes foutu. Surtout si vous avez un peu d’argent : les étudiants sont à la limite sauvés par leur « pas d’argent pour sortir », encore que les soirées cathos sont généralement gratuites…
Alors votre soirée catho, non, elle n’était pas prioritaire. Ce que les yeux ont vu n’a tout simplement pas été enregistré dans le cerveau, quand bien même les yeux l’auraient vu trois, cinq, dix fois. On le fait tous les jours pour tant de choses…
Alors que faut-il faire ?
D’abord, vérifiez que votre proposition est pertinente. Si elle ne touche pas sa cible, c’est peut-être que la majorité des gens n’ont pas besoin de votre proposition, ou qu’ils ont mieux à faire.
Mais si votre entourage est désolé d’avoir loupé le coche, cela veut sans doute dire qu’il fallait mieux transmettre l’invitation. Mais comment faire, dans un monde saturé d’information ? Faut-il en rajouter ? Oui, si on y va au matraquage, ça finit par fonctionner. On a fait une petite enquête au boulot, et on a découvert que les jeunes qui se rappellent d’avoir vu passer un événement (sans nécessairement y être allé) sont ceux qui ont vu trois fois l’information. C’est ce qu’on appelle faire du forcing. Mais au bout d’un moment, on s’épuise. Et surtout, le succès a un côté artificiel qui laisse un goût amer aux organisateurs…
Ce n’est pas une recette à proprement parler, mais je pense qu’il peut être bon de questionner notre rapport à la communication. Le Pape François disait, dans son message pour la journée des communications sociales 2014 :
« Lorsque la communication est destinée avant tout à pousser à la consommation ou à la manipulation des personnes, nous sommes confrontés à une agression violente (…). Il ne suffit pas de passer le long des « routes » numériques, c'est-à-dire simplement d’être connecté : il est nécessaire que la connexion s'accompagne d’une rencontre vraie. Nous ne pouvons pas vivre seuls, renfermés sur nous-mêmes. Nous avons besoin d'aimer et d’être aimés. Nous avons besoin de tendresse. Ce ne sont pas les stratégies de communication qui en garantissent la beauté, la bonté et la vérité. (…) L’implication personnelle est la racine même de la fiabilité d'un communicateur. »
Observez les réponses que vous faites aux événements sur un mois, et vous constaterez vite que plus l’ami s’est personnellement impliqué pour vous transmettre l’invitation, plus votre esprit a accepté de la retenir. S’impliquer personnellement ne signifie pas qu’il faut mettre de grands moyens financiers ou adapter le média à la cible : des enveloppes pour les vieux, des vidéos de 30 secondes pour les jeunes. S’impliquer personnellement signifie mettre de l’affect. « C’est moi, qui t’invite, qui t’invite toi, et pas la terre entière ». Voilà le message le plus efficace.
Cela ne nous est pas seulement difficile parce que c’est chronophage ; cela nous est difficile d’une part parce que nous avons peur de nous impliquer dans quelque chose que nous n’assumons pas totalement, qui serait par exemple trop typé idéologiquement ou religieusement, et d’autre part parce que nous n’avons pas envie d’allouer à cette cause que nous prétendons défendre plus d’un certain pourcentage de notre temps : nous cloisonnons. Dans le premier cas, il faut peut-être faire preuve de plus de courage. Mais dans l’autre, peut-être doit-on se poser la question suivante : suis-je vraiment persuadé de l’importance de cette cause ? Et si non, pourquoi devrais-je attendre de mes amis qu’ils entendent ce message si je ne le juge pas assez important pour leur en parler directement, de personne à personne ?
Je ne dis pas ça pour vous décourager d'organiser des trucs... Simplement, faites baisser la pression !
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