11/12/2014
Le Hobbit III, où comment faire son beurre sur une tartine trop grande.
Si vous avez aimé Tolkien, vous risquez de vous énerver en voyant le troisième volet de l'adaptation du Hobbit par Peter Jackson.
1) C'est LONG.
Comme du beurre qu'on a gratté sur une trop grande tartine. C'est ce qui arrive quand votre vie est prolongée artificiellement par un anneau de pouvoir, ou encore quand on fait un film de deux heures trente à partir d'un livre pour enfant de deux cent pages. Clairement, ils ont cherché à avoir le beurre, l'argent du beurre (surtout), et le sourire de la crémière.
Du coup le scénariste essaie de remplir les blancs. Avec une bataille par exemple. Une bataille à laquelle vous ne comprendrez rien, si ce n'est que tout le monde crève mais qu'il y a quand même vachement de survivants. Ou avec des gros plans qui durent et des regards qui n'en finissent pas de s'échanger et une musique bieeeeen insistante, au cas où vous n'auriez pas compris tout seul que Bilbo est attendrissant, que Thorin a claqué une durite, que Tauriel est amoureuse de Kili et que Peter Jackson n'a rien compris...
2) Et souvent incohérent.
Comme si le scénario avait été écrit par un fan qui ne possédait ni chronologie sérieuse du Troisième Âge ni carte de la Terre du Milieu.
Et que je t'évoque le Royaume perdu d'Angmar comme s'il était au nord d'Erebor... C'est au nord, oui, mais à l'Ouest, vachement plus à l'Ouest, comme votre scénario les gars... à l'Ouest...
Bravo aussi Thranduil, qui demande à son fils à la fin de la bataille un truc du style : "Va chercher un jeune capitaine des rôdeurs dans le Nord, le fils d'Arathorn, c'est un mec bien, je te dis pas son nom tu vas trouver tout seul."
Oui alors comment dire... ton capitaine mon gars, il a dix ans. Futé, de lancer Legolas sur une fausse piste ceci dit (Fondcombe, c'est au sud par rapport au lieu de la conversation, pas au Nord), ça lui fera perdre quelques années histoire de laisser grandir le petit Aragorn. A vue de nez, je dirais 77 ans, d'ici au Conseil d'Elrond. Pour faire moins de 500 kilomètres...
Parce que c'est un rapide, Legolas. En deux jours, avec Tauriel ils ont le temps de faire l'aller/retour entre Gundabad et Erebor. Ça fait 700 miles à vol d'oiseau, les enfants. Soit plus de 1100 km. Ce qui signifie que même en courant à une vitesse moyenne de 23 km/h, ils n'auraient pas dû avoir le temps de se faire des confidences à mi parcours.
Mais apparemment, les distances en Terre du Milieu sont très relatives : Gandalf met bien 24h à dos de cheval pour parcourir 640 km. Quand je pense que le Professeur vérifiait jusqu'aux cycles lunaires pour assurer la cohérence interne de son oeuvre. Qu'il repose en paix (enfin qu'il essaie...)
3) Et traître (au nom du fric).
Bilbo, le saviez-vous, est un anti-héros. Dans le livre (où il enfile l'anneau au début de la bataille et se fait assommer tout de suite. On le réveille à la fin, quand même, pour qu'il fasse ses adieux à Thorin). Mais si vous ne connaissez du livre que le film, vous ignorerez sans doute ce trait de sa personnalité que les réalisateurs ont dû trouver pas très vendeur.
Et quand on pense que Tolkien n'a pas réussi à caser une gonzesse dans son histoire le con ! Alors que c'est connu, un film n'a aucun succès sans une belle histoire d'amour très improbable et donc très triste. Pour la crédibilité : Tolkien n'a pas parlé de tous les elfes qui ont existé, or il n'a pas dit que Tauriel n'existait pas, donc Tauriel pourrait avoir existé. En revanche, une histoire d'amour entre une elfe et un nain aurait été un événement suffisamment extraordinaire pour qu'il écrive là-dessus, vous ne croyez pas ?*
Bilan des courses, ce pauvre Kili, qui était sensé mourir en défendant Thorin, meurt en défendant une elfe. Thorin n'avait finalement pas complètement tort : la loyauté se perd chez les siens.
4) Mais tout n'est pas perdu.
Avec le Seigneur des Anneaux, on a assisté à un départ superbe, un second volet décevant, une belle reprise pour finir, tout ça mené par une équipe d'aventuriers un peu fous. Avec le Hobbit, la pierre a roulé, toujours plus bas*, vers les profondeurs, avec de temps en temps une petite lueur, trop vite éteinte. Et dans ces souterrains, les fonctionnaires de l'heroïc fantasy sont les nouveaux gobelins.
Peter Jackson n'a pas pu défigurer corriger améliorer tout du livre, il en reste quelques perles. Oui, Bard est attachant. Le retour de Bilbo en pleine vente aux enchères est assez fidèle. La personnalité d'Alfrid, personnage secondaire créé pour les besoins du film, est un joyeux divertissement. Martin Freeman est toujours excellent en Bilbo (dommage qu'on lui fasse jouer des bêtises). Le combat intérieur de Thorin présente des passages intéressants. L'attaque du dragon et convaincante (on se demande juste comment Bard a su, pour le point faible de Smaug).
Qu'ils s'attaquent à Beren, Luthien, Turin, Fëanor et tous les Noldor du Silmarillion. Je suis sans inquiètude : à ce niveau là, on ne peut plus que remonter.
* Simple rappel : les nains n'ont pas été créés par Iluvatar, l'Unique (Dieu quoi). Ils ont été créés par une des puissances, Aulë. C'est la raison pour laquelle ils sont toujours un peu en dehors du coup. Si les hommes et les elfes ont pu se lier d'amitié et parfois d'amour, c'est parce qu'ils étaient frères, en quelque sorte. Mais les nains ? WTF ?
** Pour info, ma critique sur la désolation de Smaug était en effet vachement plus sympa : vous la trouverez ici
Publié dans Culture | Commentaires (0) | Facebook | | | Isabelle
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