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24/07/2011

La Semaine Sainte (4/10)

Je trouvais ça injuste à l'époque. Pour nous les bombes, pour eux l'apostasie. Mais Bachar riait de mes doutes : « L'Occident renie le Christ, alors donnons notre vie pour Lui, mon frère ! » Je sais qu'il le pensait. Je l'ai compris, maintenant, dans mon exil libanais, sous les Cèdres, si proche et si loin en même temps. Donner sa vie ! Et bien je crois, je crois qu'il n'a même pas trouvé ça difficile.

 

Lundi Saint.

- Difficile à dire, Yohan était un garçon très calme, très tranquille, il aurait jamais rien fait de violent... Mais bon c'est vrai qu'il avait de mauvaises fréquentations. A mon avis c'est à cause de ça, y'a pas moyen autrement...

Madame Hopinsky secoue le nez vers la table basse, parle de son fils au passé, ressert le thé brûlant au commissaire Varlin, appelle au secours le Seigneur et affirme ne rien comprendre à l'attitude de son fils.

- Ses fréquentations... vous les avez rencontrées ?
- Oui, non, pas vraiment... Je les aie vus par la fenêtre quand ils venaient le chercher. Il sortait tard le soir, il écoutait des musiques... des musiques...
- Oui, je sais ça. Mais sinon ? A l'école ?
- Il avait de bonnes notes quand il était petit, jusqu'en sixième. C'est après, il a commencé à plus rien faire... Il a redoublé sa cinquième, sa quatrième, sa troisième... Il fait un BEP, mais il est intelligent vous savez, très intelligent. C'était un bon petit.
- Et ces fréquentations, ça remonte à quand ?
- Oh... ça fait longtemps... quand il avait 12 ans, 13 ans. Quand il a commencé à plus rien faire à l'école.
- Et son père ?
- Y'en a pas, de père.
- Depuis...
- Y'en a jamais eu.

Le commissaire quitte presque avec soulagement l'atmosphère confinée de ce salon minuscule et sombre. Il demande à voir la chambre du garçon : une pièce drapée de noir, sans autres décorations. L'ampoule est grillée, le lit apparaît défait à la lueur du couloir.

- Vous avez touché à quelque chose ?

La femme secoue ses cheveux gris décoiffés. Le commissaire s'approche d'un bureau presque invisible, passe la main sur le bois, se penche sur la poubelle, allume son portable pour y jeter un œil. Une tache blanche sur la moquette, près du lit, attire son regard. Il se baisse sans mot dire et glisse le papier dans son calepin. Le voilà bientôt sur le palier du cinquième. Il renonce à un ascenseur minuscule qui ne lui inspire que peu de confiance.

- M'sieur...
- Oui ?

Le commissaire s'est arrêté sur la première marche, pour voir une adolescente en t-shirt noir le dévisager par l'étroite ouverture d'une porte entrebâillée.

- Vous êtes le flic ? Celui qui s'occupe de Yohan ?
- C'est moi, oui.
- Mais vous... vous pensez que c'est pas lui qui a fait le coup ?
- Si, mais je veux savoir pourquoi...
- Ah.
- Vous le connaissez ?
- C'était mon copain avant.
- Avant ?
- Avant, il y a longtemps, quand on était encore au collège. En troisième. Sa deuxième troisième, ma première.
- Et pourquoi vous êtes-vous séparé ?
- Il devenait trop zarbe... Le metal, j'aime bien, mais ses potes me faisaient carrément flipper.
- On peut discuter un peu ? Je peux entrer ?
- Non, je veux pas que mon père sache que j'étais mêlée à ça.
- Il le connaissait, le prêtre ?
La fille secoue des mèches brunes, se retourne un instant, puis lève le menton.
-Je sais pas. Mais il aimait pas beaucoup les curés. Il en avait trop vu quand il était gosse, avec les enfants de chœur, les louveteaux, le patronage et je sais pas quoi encore... Sa mère en rajoutait toujours, fallait qu'il soit un petit saint. Il détestait toutes ces bondieuseries, il me l'a dit...
- Pourquoi ?
- Je sais pas. Il aimait pas les hommes, de toutes façons.
- Comment ça, il n'aimait pas les hommes ?
- Les profs non plus, il les aimait pas.

Un bruit de voix derrière la jeune fille.
- Je dois vous laisser... Bon courage, hein.
- Merci, mademoiselle.

Le commissaire Varlin est remonté dans sa voiture, ceinture bouclée, mais ne peut se résoudre à tourner le contact. Il réfléchit.
- Enfant de chœur, louveteaux, patronage... On va remonter le passé.

Il se détache, quitte le véhicule, retourne dans l'immeuble de brique et remonte au cinquième.

Ce n'est qu'au soir qu'il tirera de sa poche le papier qui l'avait intrigué. C'est une coupure de presse ; il la posera sur son lit, la contemplant sans témoigner d'expression particulière :

 

Madame Joséphine TRINDEMART, sa famille, ses amis

Ont la douleur de vous faire part du décès de Monsieur Jacques TRINDEMART

Survenu samedi 5 avril 2016 en sa 67ème année

Les funérailles auront lieu dans l'intimité lundi 8 avril 2016

 

Le commissaire sifflote entre ses dents et range le papier journal dans son agenda.

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