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23/03/2009

Le Pape, le sida et la presse camerounaise (2/4)

Le refus d'une dénonciation catégorique dans la presse

Ce qui va marquer dans la presse écrite privée camerounaise, c'est le refus d'une dénonciation catégorique des propos du Pape. Certes, les réactions ne seront jamais neutres, tant celles des professionnels laïcs de la lutte contre le sida que celles de l'Église ou du citoyen lambda. Nous commençons par des réactions venant de personnes qui considèrent le préservatif comme un outil de lutte contre la propagation de la maladie, en l'occurrence une professionnelle de la prévention contre le sida, Anne Bihina Perrot, directrice nationale de Care Cameroun, interviewée dans les colonnes du quotidien Mutations. Cette interview sort du cadre du préservatif pour faire l'état des lieux de l'accès aux médicaments et aux soins. Sa position, qui consiste à relativiser autant le sens que l'impact de la déclaration de Benoît XVI, est remarquable. Pourquoi ne condamne t-elle pas catégoriquement les idées du Vatican ? Crainte de se voir opposer les catholiques du pays, de braquer son terrain ? Corruption ? Ou tout simplement, reconnaissance d'un impact positif que peut avoir le discours du Pape, qui, on l'a vu, ne se contente pas de s'exprimer sur le préservatif ? Nous laissons au lecteur la liberté d'en juger.

Anne Bihina Perrot : La déclaration du pape nous inspire.

La directrice nationale de Care Cameroun estime que le message de Benoit XVI peut aider à lutter contre la stigmatisation des malades.

Quelle est votre réaction par rapport à la sortie du pape sur préservatif ?

Je dirais que l'approche qu'a Care par rapport à la prévention du Sida en général, c'est de développer une palette de solutions à proposer aux personnes qui peuvent en avoir besoin pour se protéger du Vih/Sida. Le préservatif a toujours été une des composantes de notre travail de prévention, notamment la promotion de son usage. Il y a d'autres volets dans l'ensemble des campagnes qui sont de parler aux jeunes pour qu'ils essaient de reporter la première relation le plus longtemps possible, pour des personnes qui choisissent d'être fidèles à un couple, de faire un test et ensuite de s'engager à cette fidélité. Pour les personnes qui choisissent de pratiquer l'abstinence, de persévérer dans ce comportement là si c'est un choix de vie pour eux. En matière de prévention, elle doit être toujours adaptée à la population qui est en face et qui souhaite avoir différents types de solutions. Je ne pense pas que cela ait un risque par rapport aux campagnes sur lesquelles nous sommes.

Cette position aurait-elle une incidence ?

Je pense que ce n'est pas une interdiction d'utiliser le préservatif dans les campagnes. Il faut savoir que le Cameroun a adopté depuis longtemps une pratique qui est basée sur le marketing social du préservatif qui veut que les préservatifs ne soient pas donnés gratuitement. Ça fait réfléchir aussi sur sa propre sexualité. Nous pensons que faire la prévention avec cet outil rend les gens plus conscients de leurs responsabilités. Nos campagnes sont donc des campagnes de responsabilisation par rapport au préservatif. Je pense que, avec certains partenaires de travail de terrain qui peuvent avoir les mêmes approches que celle défendue par le pape, c'est sûr que les campagnes de prévention ne vont pas s'axer sur le préservatif mais on utilisera toutes les autres solutions possibles.

Le pape a par ailleurs demandé l'accès total aux médicaments par les malades…

Il y a différents niveaux d'accès. Depuis la gratuité des Arv, on a quand même une grosse augmentation des patients qui ont accès aux médicaments puisque si on estime qu'il y a à peu près 160.000 patients qui ont besoin d'un traitement actuellement au Cameroun, on est au-delà de 60.000 qui sont déjà sous traitement donc on est à plus de 40% de la situation est correcte. Les 60% se retrouvent chez des personnes qui ont des difficultés financières même si les Arv sont gratuits parce qu'il y a un certain nombre d'examens autour de la prise des médicaments. Il y a certains médicaments contre les maladies opportunistes qui restent avec un certain coût pour les patients et il peut y avoir pour les patients vulnérables économiquement une difficulté d'accès qui peut être liée à ça. Il y a aussi cette capacité à rejoindre les centres pour bénéficier du traitement. Il peut y avoir différents niveaux qui peuvent faire que certains patients n'ont pas encore accès aux médicaments.

Il a aussi incité les populations catholiques à s'impliquer dans l'accompagnement des malades…

C'est un message que nous allons utiliser pour renforcer l'adhésion des populations dans ce sens par rapport à leur tolérance vis-à-vis des patients, à leur capacité d'être en empathie avec eux et leur disposition de les accompagner. Nous nous appuyons dans certaines actions sur des groupes et associations confessionnelles qui ont une grande capacité d'écoute et peuvent mieux véhiculer certains messages auprès des malades. Je pense que là-dessus, il y a une partie du message du pape que nous allons nous charger de relayer fortement pour augmenter encore les capacités de prise en charge des patients par toute la communauté, car ce n'est pas que l'affaire des médecins.

Propos recueillis par Dorine Ekwè, Mutations 20 Mars 2009

Poursuivons avec un article beaucoup plus dur, publié dans la même édition du journal Mutations, le 20 mars. L'auteur, Justin Blaise Akono, profite de « l'affaire du condom » pour livrer une description sévère du successeur de Jean Paul II. Soulignant les différences entre les deux derniers Papes, il met surtout en avan, à travers notamment une sortie sur le préservatif jugée conservatrice et en décalage avec les comportements et opinions au Cameroun, l'incorrigible talent de Benoît XVI pour s'attirer les foudres de la presse. Justin Blaise Akono cite ainsi Le Point en preuve de ce talent – il faut dire que ces dernières semaines, la presse française n'a pas laissé de repos au Vatican. Dans une seconde partie pourtant, le journaliste relativise cette apparente rupture dans l'Église. Si Jean-Paul II était un homme plus charismatique que Benoît XVI et beaucoup plus chaleureux, il partageait les mêmes idées, défendait les mêmes positions, professait la même foi. En bref, nous ne pouvons regretter Jean-Paul II au motif que Benoît XVI a des positions radicales, car les deux hommes partageaient probablement ces positions. Simplement, la chaleur naturelle de Jean-Paul II fait que son message « passait mieux ».

Benoît XVI : Le messager de la continuité

pape-benoit2.JPGArrivé pour la première fois en Afrique sous fond de polémique, le pape reste fidèle à la ligne de l'Église sur le Sida.

La première image de Sa Sainteté Benoît XVI lorsqu'il foule le sol du Cameroun mardi dernier n'est pas du tout heureuse. Le pape est resté bloqué dans son avion pendant une dizaine de minutes à telle enseigne que le successeur de Jean-Paul II, à la descente d'Alitalia, compagnie de navigation aérienne italienne, avait le regard ferme et orienté vers le sol, comme s'il avait peur d'être trahi par cette maudite passerelle inadaptée à l’aéronef qui le transportait. La première rupture avec son prédécesseur Jean-Paul II apparaît nette, d'entrée de jeu. Le 10 août 1985, presque à la même heure, bien avant que le pape pèlerin ne baise le sol camerounais, Jean-Paul II avait béni, du haut de la sortie de son avion, les foules venues nombreuses l'attendre à l'aéroport de Yaoundé, qui tient lieu aujourd’hui de base aérienne militaire. Benoît XVI n'a pas offert aux "croyants" camerounais cette preuve de chaleur du Polonais Jean-Paul II.

Passé cette épreuve d'apparence, cette froideur du 265è chef de l'Église catholique romaine, 264è successeur de Saint Pierre, Benoît XVI avait déjà cassé la baraque sans être arrivé à Yaoundé. Capitale d'un pays très engagé dans la lutte contre le Sida et qui met avant, en plus de l'abstinence, l'utilisation du préservatif que le chef de l'Église catholique continue à combattre. Il a estimé dans l'avion qui le transportait, que l'on ne peut "pas régler le problème du sida", pandémie aux effets dévastateurs en Afrique, "avec la distribution de préservatifs. Au contraire (leur) utilisation aggrave le problème", a déclaré le Saint-Père. A-t-il voulu mettre un peu d'eau dans son vin de messe lors de l'office d'hier au stade Omnisports Ahmadou Ahidjo lorsqu'il a donné des conseils aux familles ou aux jeunes qui ne se sont pas encore engagés ? "Que les hommes aiment leur femme et que les jeunes gardent leur pureté". Cette doctrine, Joseph Alois Ratzinger en est coutumière du fait, pour la protection de l'éthique de son Église. Benoît XVI en inquiète plus d'un, les raisons les plus fréquemment mises en avant sont d'ailleurs résumées dans le journal français Le Point, qui écrit : "autant on pouvait accepter le brillant professeur de théologie, autant il convient de se méfier du" gardien de l'orthodoxie.

Silences

Ratzinger, explique-t-il, "est désormais considéré comme le grand inquisiteur et on ne compte plus ses "non". Non au communisme et au libéralisme. (...) Non au sacerdoce féminin. (...). Non à l'homosexualité. (...) Non au rock'n'roll. (...) Non à la réforme liturgique voulue par Paul VI. (...) Non à une vision syncrétique du rapport interreligieux". L'une des illustrations vécues hier lors de la messe pontificale, les invités à la table du seigneur doivent se mettre à genou pour recevoir le corps du Christ. L'on a bien l'intention d'évoquer quelques comparaisons fortes ou subjectives telles que recevoir sa bénédiction, calepin en main et plume au poing. Ce qui ne fut pas le cas lors des deux premières visites d'un pape au Cameroun, le jeune reporter étant encore écolier puis collégien. Mais, cette comparaison trouve vite ses limites.

Car, selon certains observateurs, parfois à l'intérieur même du corps, Benoît XVI apparaît comme "l'héritier, l'élu de Jean-Paul II" le gardien de la doctrine et dauphin de Karol Wojtyla. Et c'est bien pourquoi il est contradictoire de saluer avec une quasi-unanimité le pontificat de Jean-Paul II et d'accueillir avec méfiance l'homme d'Eglise dont il était le plus proche et auquel il avait confié les clés de sa doctrine. "Agir ainsi, c'est reconnaître que l'affection envers Jean-Paul II reposait sur une simple apparence et non sur le fond de sa pensée qui, bien qu'elle soit la même, est contestée quand elle est symbolisée par un autre. Ratzinger est dans la continuité de Wojtyla. Respecter le premier, c'est continuer d'aimer le second", signait encore récemment Paris Match, un magazine français.

Ce second qui, faute du charisme du premier, s'est illustré par le silence. La plupart du temps, les paroles sont écrites. Même les bénédictions comme lors de son allocution à l'aéroport de Yaoundé Nsimalen et le sourire difficile de cet octogénaire contrastent d'avec le "N'ayez pas peur" de son prédécesseur à Varsovie en Pologne alors qu'il venait d'accéder au trône du Vatican. Lors de l'homélie au Saint siège dimanche dernier, avant son départ, le pape Benoît XVI promettait de venir porter les souffrances de l'Afrique engluée dans la pauvreté depuis des siècles et étranglée dans l'engrenage de la crise financière internationale. Les Africains ont attendu l'assurance de l'homme de Dieu depuis Yaoundé. Le fera-t-il au moment où son avion décollera pour l'Angola ? Benoît XVI semble encore garder quelques mystères sur l'Afrique.

Justin Blaise Akono, Mutations, 20 Mars 2009

Publié dans Cameroun, Dieu | Commentaires (3) |  Facebook | | | Isabelle

Commentaires

- Je m'étonne qu'on ne relève pas que des méthodes de contraception et de limitation des naissances plus sophistiquées sont autorisées voire préconisées par le clergé catholique en Europe - une sorte de contraception pour les riches, puisqu'elle implique un "suivi médical", des prises de température, un matériel difficilement accessibles aux Africains en dehors des grandes villes.
Dans certains pays d'Afrique c'est jusqu'à trente pour cent des diplômés de médecine qui émigrent vers les pays capitalistes ; sans ces immigrés sous-payés, le système hospitalier français déjà au bord de la faillite connaîtrait les pires difficultés à mener à bien sa mission.

- En ce qui me concerne j'ai donc l'impression que le pape, comme les médias, détournent l'attention des véritables problèmes de l'Afrique, de son exploitation scandaleuse par les pays capitalistes qui n'ont pas intérêt à ce que l'Afrique se stabilise sur le plan politique. Notre mode de vie exagérément dépensier a pour contrepartie la misère voire la famine dans certaines régions d'Afrique. Le sida, comme les autres maladies, ne sont pas un problème "moral", ni défaut ni excès de "morale chrétienne", mais la conséquence de la désorganisation VOLONTAIRE de ces pays.

Écrit par : Lapinos | 23/03/2009

Les véritables enjeux de la médecine en Afrique sont certainement peu évoqués dans les médias européens. Je suis d'accord qu'il serait intéressant de se pencher sur la question !

Ne jetons cependant pas la pierre au successeur de Pierre:-p. Rappelons que Benoît XVI répondait à une question qui lui était posée, il n'en était pas directement l'instigateur. Je trouve déplorable cette fixation autour d'une phrase, alors que le Pape a répondu à plusieurs questions posées par des journalistes de nationalités diverses (rappelons que c'est un journaliste français qui a posé la fameuse question...) et que l'on n'a retenu qu'un vingtième de ses réponses, qui abordaient d'autres débats.

Je crois comme Lapinos le sida n'est pas un problème de morale, mais n'est pas non plus un problème d'accès au préservatif... c'est d'abord un problème de délitement totale des institutions en Afrique - en particulier la famille -, lié à une urbanisation et un développement économique anarchique. Quant à savoir si cette désorganisation est volontaire, je ne me risquerais pas à l'affirmer; c'est une opinion trop grave et avec trop peu de preuve, en ce qui me concerne, pour que je me permette de la faire partager.

Conclusion... Une fois de plus, les médias français en général ne voient l'Afrique que par le petit bout de la lorgnette... Et participent de la désinformation.

Écrit par : Morgil | 23/03/2009

- Il est évident qu'une meilleure organisation politique nuirait aux compagnies pétrolières et d'extraction minières occidentales, car cette bonne organisation entraînerait rapidement la "nationalisation" des activités d'extraction, c'est-à-dire la réappropriation par les autochtones de richesses qui leur appartiennent.
Dans certains pays d'Afrique en outre ce type d'exploitation par son intensité et son gigantisme cause des dégâts importants aux environs de l'exploitation et perturbe les activités économiques adjacentes.

- Si le pape n'a pas le courage de condamner plus fermement les abus de l'Occident, ceux de Sarkozy par exemple quand il entend choisir parmi les immigrés ceux qui sont le plus qualifiés (médecins, techniciens supérieurs) et qui feront donc le plus gravement défaut aux pays du tiers-monde d'où ils viennent, s'il n'a pas ce courage qu'il évite au moins de tomber dans les pièges tendus par les journalistes qui vont automatiquement transformer ses propos en condamnation des moeurs camerounaises (on a tous remarqué que quand c'est "un des leurs", à savoir le pitoyable Pascal Sevran naguère, qui se permet des remarques totalement dépourvues de tact et à la limite du racisme, le scandale n'est pas le même).

Les Africains ont-ils quelque chose à envier à la morale laïque ou chrétienne des Français ? Les scandales mis à jour en ce moment tendent à prouver que c'est très loin d'être le cas. Est-ce que la corruption qui règne en Afrique ne serait pas "artisanale" comparée à celle qui règne en Occident ?

A propos du délitement de l'institution familiale, je me permets de vous faire observer deux choses que vous ne semblez pas prendre en compte dans votre raisonnement et qui sont néanmoins décisives :
- La famille est une institution secondaire, c'est-à-dire qu'elle est modelée par des institutions d'un échelon beaucoup plus important. C'est-à-dire qu'il est encore plus utopique de vouloir rétablir la "famille chrétienne" telle qu'elle fut, si tant est qu'elle ait existé comme on la rêve que de vouloir rétablir la monarchie de droit divin comme certains groupuscules voudraient.
- A tout prendre la polygamie africaine n'est-elle pas une institution préférable à la polygamie "successive" qui est la norme désormais en Occident (y compris parmi les chrétiens) : à savoir le divorce. La polygamie successive occidentale a la particularité d'être une polygamie "de riches", très coûteuse (certains en font une des causes de la crise du logement), et de placer les enfants dans des situations familiales particulièrement instables et compliquées.
- J'ajoute que l'épidémie de sida ne semble pas liée à la polygamie, c'est-à-dire que les plutôt riches Africains polygames sont plutôt moins touchés par le sida que les pauvres monogames (précision utile dans la mesure où la polygamie africaine choque énormément les féministes laïques et ça constitue une autre source du mépris des Occidentaux vis-à-vis de l'Afrique.)

Écrit par : Lapinos | 28/03/2009

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