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14/09/2016

Loi du Talion #JeSuisCatholique

Je sais, c'est hors propos, ça date d'il y a déjà deux mois. Et dans cette spirale infernale de l'actu en 140 caractères, on ne s'intéresse déjà plus à ce qui a changé le monde il y a déjà deux mois.

N'empêche, ces mots m'ont fait tellement bondir à l'époque qu'il m'a fallu deux mois pour me calmer. La colère est mauvaise conseillère pour qui veut la paix : comme disait Sénèque dans De Ira III, "qu'est-ce que la guerre, ce fléau qui surpasse tous les fléaux ? L'explosion de la colère des grands." J'ai donc pris sur moi d'attendre.

D'abord d'où ça sort ce truc ?

Œil pour œil, dent pour dent, c'est ce qu'on appelle la Loi du Talion. Vous la trouverez mentionnée dans la Bible ainsi que dans le Coran. Le mot talion vient du latin, etc. Une des formules originelles (on la retrouve avec des variations dans pas mal de textes d'il y a 4000 ans environ) :

Mais s’il arrive malheur, tu paieras vie pour vie,
œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied,
brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure.

Exode 21, 24

Je vous conseille de lire le texte en intégralité, vous le trouverez sur le site de l'aelf. Comme c'est dans la Bible, en concluent les petits malins que vous êtes, c'est donc qu'on peut s'en inspirer dans la vie de tous les jours. Ce qui me fait bien rigoler, parce qu'en général, les mots "loi du talion" et "œil pour œil", on les a retenus grâce à un autre extrait un peu plus connu.

A vrai dire, certains tweets m'ont rappelé qu'à l'époque, peut-être -1500 ou -2000 avant JC, la loi du Talion, c'était une graaaande avancée humaine. Œil pour œil, c'est déjà plus humain que je te prends ta femme, tes enfants, ton bétail, tes gens et tiens, oh, disons ta vie pour arrondir, tout ça pour un chameau que tu m'as piqué. La loi du talion, c'était déjà limiter la vengeance pour faire croître la justice.

C'est dans la Bible, donc c'est moral

D'abord, un tout petit point sur la Bible : la Bible que lisent les chrétiens est un pavé composé d'un conglomérat de témoignages, de généalogies, de poèmes, d'enseignements, un peu comme le Seigneur des Anneaux, sauf qu'écrit sur des millénaires par des centaines d'auteurs qui ont vraiment existé, et qui étaient vraiment poètes, historiens, prophètes, troubadours et je ne sais quoi d'autre. Le pitch, comme on dit à la télé ? Pour retrouver l'Homme qui s'est coupé de Lui, Dieu s'adresse à un peuple, qu'Il fait grandir petit à petit, avec pédagogie, jusqu'au jour où Il rejoint l'humanité, au sein de ce peuple, en se faisant Homme. Et ce Dieu fait Homme, c'est Jésus.

Alors il est plutôt conseillé de ne pas tirer d'enseignement pratique à partir d'une phrase tirée de son contexte. Parce que les hommes décrits dans la Bible ne sont pas parfaits, et tout ce qu'ils font n'est pas nécessairement bien. Ils avancent vers le mieux, c'est sûr ; mais en attendant, ils font pas mal de boulettes (parce qu'ils sont eux-mêmes souvent de gros boulets). Il n'y en a qu'un dont on peut dire que ce gars a tout compris, il n'y a qu'une seule parole dont on peut dire à 100% qu'elle représente le sans-faute du chrétien : c'est Jésus-Christ. Parce que Jésus-Christ est Dieu. Si vous ne croyez pas ça, on ne va pas se mentir : vous n'êtes pas chrétien (et si vous n'êtes pas chrétien, vous n'êtes pas catholique non plus).

Donc, pour les chrétiens (et les cathos en font partie), Jésus-Christ, c'est la Parole de Dieu, il n'y a rien au-dessus, ni d'un prophète ni d'un roi. Le nec plus ultra.

Scoop ! La loi du talion, c'est has been.

Que dit ce Jésus que les chrétiens tiennent en si haute estime ? Et là, c'est la citation que vous connaissez très bien, parce que c'est la plus connue : 

Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, et dent pour dent.
Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre.

Matthieu 5, 38-48

Il faut vraiment lire tout le chapitre, encore une fois, je vous mets un lien vers le site de l'aelf parce que je vous aime bien. Vous savez, c'est ce chapitre qui parle des béatitudes (heureux les doux, etc), du sel de la Terre etc. C'est assez court à lire, n'ayez pas peur... 

Alors nos amis qui en appellent à la loi du Talion en ayant le toupet ou la bêtise d'ajouter #JeSuisCatholique ont vraiment une mémoire sélective qui a dû leur coûter cher au collège. Quand vous appreniez les verbes irréguliers, vous vous arrêtiez à l'indicatif ? Et les tables de multiplication, vous les avez stoppées à 5x5 ? Quand Jésus dit, un peu plus loin, "Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent", vous, ça faisait déjà quarante cinq secondes que vous n'écoutiez plus ? En terme de concentration c'est pas mal non plus !

Jésus, donc l'Autorité Suprême pour le chrétien, dit à ceux qui veulent le suivre qu'en gros, la loi du talion est dépassée. En fait, il le dit à un peu tout le monde, mais en revanche Il n'a jamais forcé personne à le suivre. Vous êtes libres, les gars, mais ayez cette honnêteté intellectuelle de ne pas trahir le message de ceux que vous appelez à défendre.

Mais c'est la guerre, nom d'une pipe !

Et la guerre, nous ne l'avons pas choisie. Elle nous a été imposée. On aurait peut-être même mieux fait de la faire plus tôt. Alors Jésus, le Pape et Gandhi, ils peuvent bien aller se faire cuire un œuf de dragon avec leurs belles théories sur l'amour des ennemis. Et c'est vrai, en quoi ça fera avancer l'humanité dans le bon chemin de laisser votre femme et vos enfants mourir sous vos yeux et faire un ptit bisou au jihadiste en le bordant dans votre propre lit après lui avoir chanté une berceuse ?

D'abord, "aimez vos ennemis", ça veut bien dire qu'on en a encore. Si Jésus casse la baraque un jour au Temple, saint Paul, fin théologien, parlait déjà au premier siècle de correction fraternelle. Tout ça pour dire que parfois, on a le devoir de cogner du poing sur la table.

Mais jusqu'à quel point ? Dieu nous a créés pour l'amour. Notre mission sur Terre, c'est de nous aimer. Si quelqu'un répand la haine, n'est-ce donc pas de notre devoir de l'arrêter ? L'Eglise s'est vachement pris la tête sur ce dilemme... Vous trouverez donc pas mal de trucs dans le compendium de la Doctrine Sociale de l'Eglise. Si vous n'avez pas le temps de chercher, j'avais rédigé cette bafouille universitaire quand j'étudiais la théologie, dans le temps.

En très bref, saint Thomas d'Aquin développe l'idée qu'une guerre est justifiée si :
– le dommage infligé par l’agresseur est durable, grave et certain.
– tous les autres moyens d’y mettre fin se sont révélés impraticables ou inefficaces.
– sont réunies les conditions sérieuses de succès.
– cela n’entraîne pas des maux et des désordres plus graves que le mal à éliminer.

C'est quoi le pire, mourir ou se damner ?

Mais en fait, se baser sur ces critères est déjà hors sujet. On les connait déjà, ces trucs, c'est même enseigné à Sciences Po et ça n'empêche pas les guerres très injustes d'arriver. Le vrai fond du problème, c'est la raison même de notre vie terrestre ; c'est apprendre à être libre d'aimer, etc. Du coup la mise hors d'état de nuire du terroriste n'est qu'un préalable à la paix. Cette victoire humaine n'est pas suffisante, et nous ne connaîtrons pas la paix que le Christ veut nous donner tant que nous n'aurons pas compris que la victoire chrétienne n'implique pas d'abord de sauver nos corps, mais surtout de sauver l'âme du terroriste.

Pour le coup, en voilà, des âmes en danger. Ces gars font de la violence un culte, ils érigent en loi morale la haine des hommes qui ne veulent pas se soumettre aux mêmes lois, ils n'envisagent pas que l'amour doit être libre pour être vrai, ils ne se rendent pas compte qu'ils blasphème le Créateur en tuant des innocents en Son nom. Et ils meurent en blasphémant Dieu. Et ils croient bien faire !

Imaginez la tronche qu'ils doivent tirer en se retrouvant devant Lui. Est-ce que vous vous rendez compte de ce que risquent ces mecs ? Il y a quand même moins d'incertitude sur le bonheur éternel du Père Hamel que sur celui de ses assassins ! 

- Nous risquons notre vie terrestre. Mais qu'est-ce que la vie terrestre ? Sénèque, ce sage, concluait ainsi son enseignement sur la colère : "Nous n'aurons pas regardé derrière nous, et, comme on dit, tourné la tête, que la mort nous aura surpris." Il faut s'y faire, nous allons mourir... Même si perso je prendrais bien l'option "90 ans, dans mon lit, de vieillesse, entourée de mes petits enfants", au final est-ce que ça fera vraiment une différence pour moi dans 500 ans ? Et puis aurais-je vraiment le choix...

- Eux, en face, ils risquent d'être privés de Dieu pour toujours. Et étant privés de Dieu, ils seront privés d'amour. Dans l'éternité. Une éternité sans amour. Qu'est-ce qu'il reste à l'homme quand il n'y a plus d'amour, plus du tout, même pas une étincelle ? C'est ça, la damnation ! Comme l'écrivait, encore une fois, Sénèque (décidément) : "la plus grande, punition du mal, c'est de l'avoir fait". La première victime du terroriste, c'est lui-même. J'ai aussi écrit un article sur la damnation et la pitié pour celui qui se damne, mais n'allez pas le lire si vous ne digérez pas Harry Potter (ce qui est moins embêtant que le lactose).

A la limite, on s'en bat les tentacules, n'est-ce pas ? Certains peuvent  même puiser une forme de contentement dans l'espoir que ces gars enchaînent maintenant les parties de Cul de Chouette avec le tonton cornu. Mais "j'espère qu'il est en enfer" n'est pas une pensée très chrétienne (et en plus, on n'en a pas de preuve, c'est donc assez pitoyable comme satisfaction). Allez, puisqu'on ne sait plus lire la Bible de nos jours, je vais citer Dumbledore : "n'aie pas pitié des morts, Harry. Aie plutôt pitié des vivants et surtout de ceux qui vivent sans amour." (Ceci dit, Dumbledore citait la Bible à ses heures perdues, alors on est quitte. En plus, ça me rappelle un truc que Jésus a dit aux filles de Jérusalem.)

Dilige et quod vis fac (aime, et fais ce que tu veux)

Il y a un sacré paradoxe ! Sur un plan temporel, nous avons le devoir de protéger les autres des menaces terroristes. Sur un plan spirituel, ce n'est pas un combat contre un terroriste que nous [par "nous", j'entends les chrétiens] menons, c'est un combat contre le Mal, contre l'Ennemi, contre Satan. C'est un combat intérieur avant d'être extérieur, spirituel avant d'être temporel... Mais temporel aussi, et les deux semblent s'opposer.

L'ennemi attaque toujours dans le dos... et masqué. Imaginez-vous au cœur d'une grande bataille en train de chercher en permanence l'étendard de Jésus-Christ, et... ou plutôt allez faire une retraite de St Ignace et vous comprendrez de quoi je parle (bon, si vous n'avez pas le temps, il y a ce dossier un peu tradi sur la forme, mais rien à redire sur le fond).

Ou peut-être prenons-nous le problème par le mauvais côté. 

"Aime et fais ce que tu veux ! Si tu te tais, tu te tais par amour ; si tu cries, tu cries par amour ; si tu corriges, tu corriges par amour ; si tu épargnes, tu épargnes par amour. Qu’au dedans se trouve la racine de la charité. De cette racine rien ne peut sortir que de bon."

Saint Augustin

Partir en guerre avec l'amour de l'ennemi dans le cœur ? Vraiment ? C'est ça la solution ? Pardon mais c'est vraiment pourri... Et en plus, pas réaliste.

Allez, on va mettre la barre un peu haut, et rappeler que Jehanne d'Arc pleurait sur le corps des anglais tombés à la bataille. A quoi ça a servi ? Je ne sais pas, mais mon intuition me dit que c'est ainsi qu'une guerre peut mener à une paix qui ne soit pas seulement le silence des armes. Eh, je ne dis pas que c'est facile, hein. Moi aussi, j'ai déjà imaginé la peur grandir dans les yeux de quelqu'un que j'avais coincé au fond d'une ruelle obscure avec une batte de Baseball Cricket à la main. Mais c'est l'idée générale, le fond du truc. L'amour des ennemis, la guerre juste. La solution au paradoxe.

Et ce sera ma conclusion (enfin ? c'est pas trop tôt !). Si nous voulons que la guerre mène à une paix durable, voilà la vraie question que nous devrions nous poser en partant au combat :

Sommes-nous prêts à pleurer sur nos ennemis ?

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