27/12/2016
Je répondrais plus tard.
Non, mon boulot n'est pas archi prenant, oui, j'ai bien reçu votre message, non, je ne me fous pas de votre gueule.
Pourquoi retarder la réponse? Pourquoi éteindre son portable alors qu'on n'avait rien d'urgent? Pourquoi oublier son portable chez soi en partant le matin? Pourquoi refuser d'en posséder un?
Etre joignable partout, c'est abolir des limites imposées par l'espace. Devoir répondre sur le champ, c'est abolir les limites dues au temps. Quel progrès fantastique, me direz-vous, et il faudrait être un peu fou pour ne pas en profiter !
Joignables n'importe quand, par n'importe qui ou presque, et sommés de réagir à la vitesse de la lumière, nous sommes comme englués dans une immense toile d'araignée (toile = web en anglais), comme une fourmi connectée au reste de la fourmilière en permanence.
Autrefois on écrivait aux absents. On les joignait au téléphone, à leur domicile, pour des échanges de nouvelles plus longs ; de vraies conversations. On prenait le temps de réfléchir à ce qu'on allait se dire, de creuser les sujets. On hiérarchisait les informations en fonction de leur importance ou de l'urgence de la réponse : je l'appelle au bureau ? Non, après tout, il peut attendre ce soir... On prévoyait mieux, on organisait moins de plan à l'arrache, ou alors avec les gens qu'on voyait, les collègues de bureau, la famille, les colocataires, les voisins...
Maintenant, tout est pressant. "Ramène du PQ", "J'accouche !!", "Peux-tu m'envoyer les photos de l'EVJF", "Tu vas en Bretagne cet été ?" Tout est au même niveau, et il faut réagir à tout. Il est indélicat de ne pas répondre dans l'heure au pote qui vous demande "ça t branche le dernier Nolan la semaine pro?"
On est tellement bombardé d'informations et de demandes, toutes formulées sur un ton pressant, qu'on en perd le sens des priorités. On se veut tout à tous à tout instant. Du commentaire posté sous le statut d'un ami au texto qu'on vient de recevoir, ne pas répondre, c'est la fin du monde. Et on traite le plan de potes à l'arrache avec la gravité d'une l'urgence familiale.
Si vous avez plus de 25 ans, vous vous souvenez peut-être d'un temps où ces sollicitations permanentes n'existaient pas. Faites un effort de mémoire, rappelez-vous de cette époque où vous viviez sans portable, ou en tout cas sans portables connectés à internet, sans facebook, sans twitter, avec une pauvre adresse de messagerie (et MSN, qui se rappelle de MSN ?). Est-ce que les rapports humains étaient moins riches ? Est-ce que vous aviez moins d'amis (hors syndromes adolescents)? Essayez de comparer, pour vous rendre compte des dimensions que ça a pris.
Ça m'aurait pris 20 secondes de répondre à ce texto, et je ne suis pas débordée. En plus, j'ai la capacité propre aux femmes de penser mal à deux ou trois trucs en même temps. Je me serais à peine déconcentrée.
Si j'ai vexé en ne répondant pas, j'en suis désolée. La vraie raison, la voici : mon portable m'appartient. Je ne lui appartiens pas. Je suis maître de mon discernement. C'est moi qui dresse les priorités de l'urgence, et tel texto, tel mail, tel commentaire, n'entraient pas dans cette catégorie. Si je commençais à répondre immédiatement à tous les messages que je reçois quel que soit leur degré d'importance, je saurais qu'il est temps pour moi de reléguer le portable au domicile, et peut-être même au fond d'un placard.
Parce que le temps et l'espace, voilà le cadre dans lequel croît ma liberté, et ne pas répondre sur le champ à ce message est un moyen de préserver cet environnement aussi fragile que précieux.
Publié dans Société | Commentaires (0) | Facebook | | | Isabelle
Les commentaires sont fermés.