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25/03/2009

Le Pape, le sida et la presse camerounaise (4/4)

Un regard sur la presse étrangère

L'affaire du préservatif va susciter une interrogation sur le traitement par les médias extérieurs au Cameroun de la venue du Pape. Les journalistes camerounais de la presse écrite privée perçoivent très vite, avec acuité, le risque de voir l'affaire du préservatif éclipser dans les médias étrangers tous les autres débats et tout autre traitement autour de la venue de Benoît XVI dans leur pays. Nous commençons d'ailleurs par un article du 19 mars paru dans le quotidien Mutations, qui prévoit les conséquences du battage médiatique. Le journaliste, Célestin Obama, s'interroge sur la pertinence d'un potentiel lynchage dans la presse camerounaise du successeur de Saint Pierre, tel qu'il l'a vu dans la presse étrangère.

Préservatif : L'Instrumentum laboris contracte le sida

La position du pape sur le préservatif ravit la vedette à l'objet de la visite papale.

"Le problème du sida ne peut pas être résolu par la distribution de préservatifs. Au contraire, leur utilisation aggrave le problème". Cette déclaration du pape Benoît XVI aux journalistes à bord de l’avion qui l’amenait à Yaoundé fait des vagues. Si bien que l'objet de son voyage du pape se trouve noyé dans les commentaires des médias surtout internationaux. Car, le sida touche particulièrement l'humanité de par le nombre de ses victimes. Tout le risque est par conséquent de ne rien retenir du passage de Benoît XVI au Cameroun.

Aucune réaction au comité national de lutte contre le sida (Cnls) dont le responsable ne "reçoit pas, même si c'est qui ", fait-on savoir au secrétariat. " Je suis très mal placé pour réagir aux propos d'un pape. Il n'y a que le ministre et le Secrétaire permanent pour le faire ", rétorque monsieur Djaou. Une source nous dirige vers la Conférence épiscopale nationale, bénéficiaire de 34 millions de fcfa pour mener la lutte contre le sida après s'être engagée à suivre le plan national de lutte qui inclue bien sûr le condom. " Je ne suis pas prête à répondre spontanément. Il faut choisir quelqu'un d'autre ", rétorque Dr Andaban, religieuse responsable de la santé à la conférence épiscopale.

Un président d'un réseau d'associations de personnes vivant avec le vih/sida a une position " partagée. Le condom a sa place pour ceux qui sont touchés. La vie serait impossible sans préservatif. Mais au niveau de la prévention, le pape a raison quelque part sur la plan purement chrétien". Le Groupe de Recherche et d'Appui en communication participative pour le Développement et le changement de comportement (Gracode) est un organisme d'appui à la lutte contre le sida. Emérant Koulou Etoa, son président et ancien chef de l'unité Communication et changement de comportement au Groupe technique provincial (Gtp) de lutte contre le sida dans le Centre pense que " la distribution du préservatif n'apporte pas le changement de comportement. Le préservatif est incontournable dans le cas de partenaires multiples et en cas de relation douteuse. Dans l'ancien message : abstinence-fidélité-condom. Le condom ne vient qu'en troisième et dernière position. La première politique du comité national de lutte contre le sida était de distribuer des préservatifs. Celle-ci a abouti à l'échec ".

Célestin Obama, Mutations, 19 Mars 2009

Voici maintenant une revue de la presse étrangère publiée dans La Nouvelle Expression, fruit du travail d'un stagiaire. Titrée « la presse mondiale s'en fait l'écho », l'article ne parle cependant que de la presse française, à travers trois titres : La Croix, Le Monde et L'Express. La première constatation vient apporter une caution à l'article présenté précédemment : les « confrères étrangers » ont surtout surfé sur la vague médiatique de « l'affaire du condom ». Dans une deuxième partie, l'auteur de l'article, Lindovi Ndjio dresse un bilan de ce que la presse française, à travers ces trois journaux, a dit et écrit d'autre sur la venue du Pape au Cameroun.

Messe pontificale : La presse mondiale s’en fait l’écho

pape-benoit3.JPGLes confrères étrangers ont rapporté tous les étapes de la visite papale au Cameroun.

C’est la position de Benoît XVI sur le Vih sida qui n’en finit pas d’intéresser la presse internationale : “Benoît XVI renforce la position de l'Église contre le préservatif”, titre Le Monde. Selon l’envoyée spéciale du quotidien français, “acclamé par des milliers de personnes tout au long de son parcours entre l’aéroport de Yaoundé (Cameroun), où il est arrivé mardi 17 mars, et la nonciature apostolique, le pape n’a sans doute pas porté attention aux immenses panneaux publicitaires, qui, de loin en loin, vantent les mérites du préservatif dans la lutte contre le sida”.

L’Express qui trouve que “le pape conteste l’efficacité du préservatif ”, donne la parole à de nombreuses personnalités dont Alain Jupé, qui réaffirme être né dans la religion catholique, mais qui “condamne le pape”.

Prenant la défense du pape, La Croix, journal d’obédience catholique, s’en prend aux journalistes qui, selon le journal, “à bord de l’avion papal mardi 17 mars, auraient mal retranscrit ces propos, semant ainsi la perturbation dans l’opinion publique à partir de citations tronquées”.

Sur la messe dite par le Saint père au Stade Ahmadou Ahidjo de Yaoundé hier, Le Monde écrit que “dans son homélie, le pape a déploré ”le bouleversement de la vie traditionnelle” africaine et ”la tyrannie du matérialisme” sous l’effet de la mondialisation”. Le quotidien qui rapporte les propos du Saint père, avertit que ”l’Afrique en général et le Cameroun en particulier encourent le risque de ne pas reconnaître” Dieu, ”le véritable auteur de la vie”. Décrivant l’euphorie des croyants, Le Monde rapporte les propos d’une jeune dame qui s’exclame : “C’est l’heure de l’Afrique”.

Paul Biya

Une messe dont les confrères étrangers s’accordent sur la popularité, sous fond de polémique.  “60.000 personnes à l’intérieur du stade de Yaoundé et des milliers restées en dehors”, selon La Croix, “45.000 dans les gradins plus la pelouse”, estime Le Monde qui indique que “les gradins et tribunes étaient quasiment pleins une heure avant le début de la messe pontificale  et d’’autres y étaient présents depuis l’aube”. C’est “un impressionnant service d’ordre, les gradins, tribunes et pelouse étaient pleins alors que de nombreuses personnes ont dû rester à l’extérieur du stade”, signale L’Express.

Fouinant dans les coulisses, L’Express révèle que “le pape Benoît XVI a incité les évêques camerounais à se faire ”les défenseurs des droits des plus pauvres” et ”à susciter et encourager l’exercice de la charité”. Le journal annonce que le pape qui a rencontré les évêques mercredi en fin de matinée, “a balayé avec eux les spécificités de l'Église sur place : concurrence avec les ”sectes” et les mouvements ésotériques, mode de vie et formation des prêtres, liturgie... ”. Ajoutant que sur “le célibat des prêtres, qui n’est pas toujours respecté à travers l’Afrique, Benoît XVI devait rappeler que le pasteur est avant tout ”un homme de prière” et qu’il doit s’en tenir à ”ses engagements pris lors de son ordination”. Rappelant que Benoît XVI a placé son premier voyage en Afrique sous le signe de ”la foi et de la morale”

Revenant sur une crainte de récupération de l’événement par le pouvoir politique, tel que le prédisait déjà l’envoyé spécial de France 24, le reporter de Le monde rapporte que “Benoît XVI a été accueilli par le président Paul Biya, qui a trouvé dans cette visite une tribune politique opportune, s’affichant sur des portraits géants en ”parfaite communion” avec le pape”. Et le successeur de Pierre n’a pas manqué de lui rappeler en une phrase que l’Afrique souffre de manière ”disproportionnée” : et que ”Face à la souffrance ou à la violence, la pauvreté ou la faim, la corruption ou l’abus de pouvoir, un chrétien ne peut pas demeurer silencieux”.

Lindovi Ndjio (Stagiaire), La Nouvelle Expression, 20 Mars 2009

Ces interrogations sur le traitement médiatique de l'affaire du condom dans la presse étrangère, nécessitent cependant un certain recul. Deux possibilités, dont l'une éclipse rapidement l'autre. Les médias camerounais offrent toujours une couverture très complète des visites de chefs d'État ou personnalités étrangères au Cameroun. Ces visites apportent en effet, d'une part, une caution au gouvernement en place (qui en a bien besoin), et d'autre part donnent aux camerounais la confortable opinion que leur pays bénéficie d'une place importante dans le jeu international. C'est une réaction purement humaine que l'on ne remarque certainement pas qu'au Cameroun ! Mais les pays du « Tiers-monde » éprouvent parfois plus que les autres un besoin de reconnaissance qui permet d'espérer en temps voulu une aide financière ou un soutien politique. Dénigrer un de ces visiteurs influents, c'est dénigrer l'importance du pays. Cette article signé Alain Blaise Batongué semble aller dans le sens de cette première idée :

Le pape, Dieu et le Cameroun

Certains ont voulu réduire la visite du pape au Cameroun, la première en Afrique depuis son élection en avril 2005, à la polémique provoquée par ses déclarations sur l'utilisation du préservatif dans la lutte contre le Vih-Sida. Avant même que son avion n'atterrisse à Yaoundé-Nsimalen. Comme s'ils voulaient faire de ce voyage symbolique un mort-né. Mais peut-on sincèrement reprocher à un pape de l'église catholique de condamner l'utilisation du préservatif dès lors que la position originelle de Rome -régulièrement réaffirmée par Jean Paul II, le prédécesseur de Benoît XVI- est qu'on ne peut pas dissocier la sexualité de la procréation, et les relations sexuelles (appelés ici actes matrimoniaux) doivent être comprises dans le cadre d'une institution qui est le mariage et dans un lit qui est le lit conjugal ?
On peut comprendre que les enjeux commerciaux que charrie le marketing autour du préservatif, ajoutés à l'effacement et au déclin de la foi chrétienne en Occident, aient amené les médias occidentaux à imposer dans l'agenda de la visite papale cette question qui ne répond pourtant pas à une préoccupation essentielle de l'église catholique, hier comme aujourd'hui : même en considérant que le monde évolue et qu'il faut intégrer les tendances de son temps, doit-on accepter que le préservatif est plus important que la vertu de la fidélité ?

Ce débat a failli éclipser le fait que la visite du Saint Père au Cameroun, la 3e en un quart de siècle sur notre terre, est une véritable grâce. Autant on ne peut nier qu'elle était souhaitée et attendue, eu égard aux nombreux problèmes qui minent notre pays et qui avaient manifestement besoin d'un regard spécial, sans doute pour provoquer un déclic, un électrochoc pour engager une véritable réconciliation nationale et dissiper, peu à peu, les nuages qui s'amoncellent et assombrissent son avenir.
Au moment de dire au revoir à son hôte de marque, Paul Biya ne reconnaissait-il pas lui-même à l'aéroport de Yaoundé-Nsimalen : "Votre visite a été pour tous les Camerounais un grand honneur et une grande joie. Vous avez pu, j'en suis sûr, mesurer leur ferveur, leur déférence et, si j'ose dire, leur affection. Car ils savent que Vos paroles sont sincères. Qu'elles traduisent un sentiment profond d'indignation contre l'injustice, une réelle inquiétude devant la permanence des tensions, mais aussi un espoir de paix et de fraternité entre les hommes.

Elles ne pouvaient que leur aller droit au cœur. En effet, le monde tel qu'il va, ne peut que susciter la crainte de l'avenir. Les conflits ouverts ou larvés perdurent en Afrique et continuent de provoquer misère et désolation (…) Les difficultés de la vie quotidienne pourraient avoir des répercussions défavorables sur les valeurs morales qui structurent nos sociétés. Je comprends que Vous partagez ces inquiétudes. C'est pourquoi nous espérons que le deuxième Synode des Evêques pour l'Afrique les prendra en considération. Pour notre part, nous sommes certains que la Très Haute Autorité Spirituelle et Morale que Vous incarnez sera d'un grand secours pour alléger nos craintes et faire renaître l'espérance dans le cœur des Africains. " On aurait qu'il parlait davantage du Cameroun dont la situation est au bord de l'explosion.

Le pape l'a si bien compris qu'il a répondu : " La chaleur du soleil africain s'est comme reflétée dans la chaleur de l'hospitalité dont vous m'avez gratifiée (…) Je suis heureux également que les membres d'autres communautés ecclésiales chrétiennes aient pu être présents à certains de nos rassemblements, et je leur renouvelle mes souhaits respectueux, ainsi qu'à leurs responsables (…) Beaucoup de réalités dont j'ai été le témoin ici resteront profondément gravées dans ma mémoire. Au Centre Cardinal Léger, il était très émouvant de constater l'attention dont font l'objet les malades et les handicapés, qui sont parmi les membres les plus vulnérables de notre société. Cette compassion, qui est celle du Christ, est un signe assuré d'espérance pour l'avenir de l'Église et de l'Afrique. "

Même si on regrettera qu'il n'ait pas attaqué de manière frontale et directe les maux qui minent le Cameroun -et Dieu seul sait s'il les connaît- Benoît XVI a préféré les envelopper dans des généralités très africaines, comme dans un symbole : " Habitants du Cameroun, je vous exhorte à saisir l'instant que Dieu vous a donné ! Répondez à son appel à porter la réconciliation, la guérison et la paix à vos communautés et à votre société ! Travaillez à éliminer l'injustice, la pauvreté et la faim partout où vous les rencontrez ! Et que Dieu bénisse ce merveilleux pays qui est " une Afrique en miniature ", qui est une terre de promesse et une terre d'une rayonnante beauté. Que Dieu vous bénisse tous ! "

Injustices, pauvreté, faim, puis réconciliation pour la guérison et la paix. Y avait-il des mots plus significatifs pour décrire les maux du Cameroun aujourd'hui ? Si les Camerounais ont démontré, le temps de la visite papale, qu'ils pouvaient faire les choses à peu près correctement, il reste à espérer qu'on ne prendra pas ces propos et cette visite comme une simple récréation, un intermède. Les attitudes et actions politiques des prochains jours seront sans nul doute des indices pour sonder l'avenir et les réelles intentions du président de la République qui a semblé requinqué par cette visite papale. En espérant qu'il a été effectivement touché par le Saint esprit.

Par Alain B. Batongué, Mutations, 23 mars 2009 

En l'occurrence, « l'affaire du condom » a peut-être au contraire permis de mettre en lumière le passage au Cameroun du Pape. Ce que peuvent décemment regretter les journalistes camerounais, ce que semble dans cet article regretter Alain Blaise Batongué, directeur de la publication du premier quotidien privé au Cameroun – ainsi que l'ensemble de la population – c'est que cette affaire a éclipsé effectivement des débats spécifiques au Cameroun, dont un traitement privilégié aurait directement permis un changement. Je pense notamment au respect des droits de l'Homme, à la liberté de la presse, ou encore aux enrichissements personnels des 'Grands' (prélats catholiques compris dans ce large lot) au dépends de leurs compatriotes... pour ne prendre que ces exemples, largement traités par la presse camerounaise privée au moment du passage du Pape.

Conclusion

Nous concluons ce chapitre par une constatation. Le traitement par la presse écrite privée camerounaise de la polémique sur l'usage du préservatif dans la lutte contre le sida, s'apparentait plus à une couverture bienveillante qu'à un lynchage médiatique tel qu'on a pu l'observer ailleurs dans le monde. Les opinions semblent d'autre part considérer les propos du Pape comme une position défendable.

Rappelons toutefois qu'il s'agit là d'articles écrits par des journalistes, dans des journaux qui entendent jouir d'une réputation de sérieux. Ces articles ne reflètent pas nécessairement l'opinion publique sur la question. Les camerounais s'informant essentiellement par la voie de la radio, laquelle est un secteur beaucoup plus « grande gueule », il serait difficile de mener une étude complète sur la réception des propos du Pape dans l'opinion publique camerounaise, dans un laps de temps aussi cours et en restant derrière son ordinateur. Pour commencer, il faudrait se rendre sur place pendant de longues semaines, afin de mener une enquête quantitative plutôt laborieuse mais certainement instructive. Ce n'est pas l'objet de ce document.

Nous relativisons donc, mais nous concluons cependant sur un point qui ne pouvait pas apparaître dans l'immédiat, à la lecture de ces textes : les articles sur la polémique ne sont pas si nombreux. Au vu de l'ensemble des sujets traités dans la presse camerounaise, au vu de la richesse des débats que la venue du Pape a remis sur le tapis, au vu enfin de la prolifération dans les médias d'articles, reportages, interviews, portraits... ayant pour cadre Benoît XVI, nous ne pouvons que constater que la presse camerounaise a accordé à « l'affaire du condom » une place bien maigre dans ces colonnes, loin du lynchage médiatique des médias français. Une place qui est proportionnelle à l'importance et la gravité accordée au sujet.

Sources

Alain Blaise Batongué : le Pape, Dieu et le Cameroun, Mutations, 23 mars 2009

Anne Bihina Perrot : La déclaration du pape nous inspire, propos recueillis par Dorine Ekwè, Mutations 20 Mars 2009

Benoît XVI : «On ne peut pas résoudre ce fléau par la distribution de préservatifs», Librairie Editrice du Vatican, Le Jour (extraits), 18 mars 2009

Cathy Yogo : La journée du pape : Benoît XVI contre l’usage du préservatif, Le Jour, 18 mars 2009

Des évêques réagissent à la position de Benoît XVI sur l’usage du préservatif, propos recueillis par Cathy Yogo et Adrienne Engono, Le Jour, 19 mars 2009

Célestin Obama : Préservatif : L'Instrumentum laboris contracte le sida, Mutations, 19 Mars 2009

Hubert Mono Ndjana : Tout compte fait, le pape n’a pas tort, La Nouvelle Expression, 20 Mars 2009

Justin Blaise Akono : Benoît XVI : Le messager de la continuité, Mutations, 20 Mars 2009

Lindovi Ndjio (Stagiaire) : Messe pontificale : La presse mondiale s’en fait l’écho, La Nouvelle Expression, 20 Mars 2009

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