Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/01/2009

Première partie : Mutations

Les difficultés principales que j’ai rencontrées pendant ce stage ont tenu à la nature du terrain autant qu’aux conditions de travail des journalistes au Cameroun. Lorsque j’ai demandé ce stage, j’ai précisé que je me passerais de salaire et que j’acceptais également de prendre les frais d’enquête à ma charge. Connaissant déjà quelque peu le terrain, je montrais ainsi que je ne me faisais aucune illusion. Je me trouvais dans les mêmes conditions que de nombreux journalistes à Yaoundé, qui travaillent parfois sans salaire, sans même être reconnus par leur employeur. J’ai partagé la vie des journalistes à plein temps. Yaoundé est un microcosme ; tous les journalistes se connaissent et collaborent souvent. Connaître déjà les journalistes a été un atout pour moi : je travaillais avec eux, et je déjeunais, sortais et discutais aussi beaucoup avec eux. J’ai appris que les informations se partageaient en dehors des heures de travail, aux terrasses ou dans les restaurants. Les articles et les émissions se discutent principalement dans les petits restos et bars qui entourent les rédactions et les radios. C’est aussi là que l’on peut se faire connaître et rencontrer les gens. C’est là que les véritables critiques tombent, sur les actions du gouvernement, sur le traitement par la presse de tel ou tel événement, sur les campagnes politiques ou les dernières rencontres sportives. Les discussions entre journalistes répondent à des codes et des règles : ils procèdent par allusions, évoquant les personnes par leurs initiales ou leur surnom… Ces discussions, qui n’avaient aucun sens et me paraissaient sans intérêt au départ, ont peu à peu été essentielles à mon intégration dans l’univers des médias camerounais. Ce milieu des médias m’a vite paru amical, intéressant, et j’ai beaucoup apprécié le climat qui régnait dans certains de ces groupes. On trouve, dans l’univers des médias camerounais, beaucoup de gens qui ne possèdent rien mais ont beaucoup à dire, et acceptent, pour trois bouchées de pain, de travailler 45 heures par semaine. On y trouve aussi, hélas, beaucoup d’aventuriers qui rôdent dans les parages des radios et rédactions espérant dégotter quelques tuyaux, travaillant dans la presse à gage et nuisant à la profession. Le métier est très poreux au Cameroun, et s’il existe une Carte Nationale de la Presse, elle est souvent délivrée à tort et à travers.

Que vaut, concrètement, le journalisme camerounais ? Il m’est difficile d’en juger, tant on trouve de tout, et je ne suis pas forcément la mieux placée pour le faire. Je parlerais plus volontiers des conditions matérielles de travail. La presse fait avec de petits moyens. Il suffit de voir à quoi ressemble un quotidien national réputé pour le comprendre : avec leur dix à douze page en bicolore imprimées sur du mauvais papier, les grands quotidiens camerounais font plus piètres figures que certaines feuilles paroissiales dans les provinces françaises. En lisant les articles, on remarque de nombreuses fautes de style et d’orthographe. Les relecteurs sont très peu nombreux, et il n’existe des postes entièrement dédiés à la relecture que dans les grands quotidiens. De nombreuses coquilles passent à travers les mailles du filet ! Il n’existe d’autre part pas de photographe professionnel. A Mutations, un stagiaire anglais dont c’était la spécialité s’en occupait. Le reste du temps, tous les journalistes prenaient leurs propres photos, empruntant les appareils (numérique, tout de même) à ceux qui en possédaient. Ce n’était pas sans risque : mon appareil photo a été volé pendant ce stage, et j’ai craint plusieurs fois de me faire dérober celui que j’empruntais occasionnellement. Un autre détail : il y a peu d’ordinateur en état de fonctionner dans la salle de rédaction. C’était souvent la course en fin de journée pour boucler la rédaction d’un article ! Tout ceci peut expliquer les apparences quelque peu déroutantes d'un papier que l'on présente comme une parution importante. La faiblesse du tirage et des ressources liées à la publicité explique en large partie des difficultés financières source de nombreux problèmes. La corruption du secteur n'est pas le moindre. Signalons toutefois l'effort entrepris par les journalistes et certains médias pour encourager la formation1.

1 Au sujet de la formation des journalistes au Cameroun, cette enquête : http://unesdoc.unesco.org/images/0015/001514/151496f.pdf

Publié dans Cameroun, Far Away | Commentaires (0) |  Facebook | | | Isabelle

Les commentaires sont fermés.