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17/06/2016

Orlando et la course à l'alibi

La Tour Eiffel est aux couleurs de l'arc-en-ciel : tremble, Daesh, ça t'apprendra à revendiquer un massacre homophobe à Orlando - pas l'acteur, la ville.

Refoulez-vous un alibi ?

On l'a vu avec Charlie ; tout un tas de photos de profil de cathos qui disaient "je suis Charlie", le journal qui leur chie dessus. Les mêmes revendiquent le rainbow flag par solidarité après le massacre d'Orlando - pas l'acteur, la ville. Les dents des militant-e-s LGBT grincent. Pourtant, le phénomène s'expliquerait aisément : on nous attaque, on ressert les rangs. C'est instinctif. Chacun sait que l'oignon fait la farce (la farce, dans l'histoire, c'est qu'en fait d'adepte de kamikaze on a un mec qui ressemble quand même vachement à un homo refoulé ; on leur dit, à Daesh, ou on laisse couler ?). N'empêche que si c'était une course à l'alibi, les cathos auraient tout de même une longueur d'avance sur les musulmans (tiens, pour une fois, je serais dans le camp des vainqueurs). Pourquoi ? Les musulmans qui assurent "c'est pas ça l'Islam" sont dans le rejet d'une identification au coupable : "être musulman ne fait pas de moi un membre de ce groupe là". "Voilà ce que je ne suis pas". Les cathos sont dans l'affirmation d'une identification aux victimes : "je suis arc-en-ciel", "je suis des vôtres".

Union sacrée ou unité de façade ?

En ce sens, les cathos seraient plus malins ; en s'identifiant directement aux victimes, ils sont plus assurés de ne pas être identifiés aux coupables. Réagir en protestant de son innocence, c'est se désigner d'office comme suspect. Les élites musulmanes devraient en prendre de la graine ! Mais si ces déclarations sont des stratégies de légitimation (même inconscientes), cela signifie que les communautés sont en concurrence entre elles pour gagner en légitimité au sein de la société occidentale moderne, l'arbitre étant l'opinion publique laïque et républicaine à laquelle les coureurs font allégeance, et l'apparence d'union sacrée n'apaise en rien les profondes tensions. Cela voudrait surtout dire que nos réactions ne seraient pas motivées par une menace réelle, mais par un désir de reconnaissance. Pour s'abriter de la pluie, on va prétexter un hypothétique déluge pour avoir la meilleure place dans une arche que les bâtisseurs, qui n'y croient pas plus que nous, n'ont jamais prévu de faire flotter.

Dark Vador doit mourir

C'est parfait pour l'Etat Islamique qui aurait réussi à créer un ennemi identifié sans que cet ennemi n'identifie la menace. L'enjeu ? Créer l'apparence d'un bloc unifié pour pousser un maximum de personnes de culture ou de foi musulmane à se désolidariser de la civilisation occidentale. L'ennemi identifié serait la société de consommation matérialiste et décadente des Croisés. Rien de cette société ne mériterait qu'on la sauve, car le Mal l'aurait tant corrompue qu'il ne faudrait pas hésiter à la sacrifier. Il n'y aurait pas un seul juste qui justifierait qu'on épargne Sodome. Les mécréants eux-mêmes seraient d'irrécupérables hérétiques se livrant à la pornographie et à la vénalité ; Dieu les aurait déjà jugés, il n'y aurait rien de bon en Dark Vador, Delenda Carthago est bande de sales kouffars. Et de fait, ça marche quand même un peu, puisque le discours des élites musulmanes n'arrive pas à aller complètement jusqu'à l'identification aux victimes. Et on en revient à la course à l'alibi de départ ; ce qui compte, c'est peut-être de ne pas participer...

Jean-Jacques Goldman a raison

Je ne dis pas que nous soyons tous en quête d'un alibi, ni à quel degré ça peut jouer dans nos réactions. Encore une fois, il ne faut pas sous-estimer l'instinct grégaire du troupeau face au prédateur. Mais questionner un peu nos motivations nous donnerait peut-être quelques pistes pour trouver comment promouvoir l'unité sans laisser prise à la stratégie de Daesh. Curieusement, la réaction des militants gays à la solidarité de Christine Boutin me fait relativiser : on aimerait tous que la société se divise entre le bien et le mal. Quel dommage qu'on n'arrive pas à s'entendre sur la frontière entre les deux... Ce serait tellement plus confortable pour s’entre-tuer en toute bonne conscience.

Peut-être faut-il s'en réjouir, et espérer "qu'on nous épargne à toi et moi, si possible très longtemps, d'avoir à choisir un camp" ; non pas que c'est mal, de choisir un camp. Mais ce n'est jamais un très bon signe. Et surtout, parce que citer Jean-Jacques Goldman est aussi puissant que mettre la Tour-Eiffel aux couleurs de l'arc-en-ciel, et au moins aussi révolutionnaire que boire une bière en terrasse.

Publié dans Cité, Société | Commentaires (0) |  Facebook | | | Isabelle

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