30/01/2016
Nous avons besoin d'un Docteur parce que nous avons besoin d'un père
Le Docteur, personnage principal de la série Doctor Who, a souvent été comparé à une figure paternelle. Cette lecture a toutefois très vite fait débat. Pourtant, notre relation avec lui (quand je dis notre, je veux dire celle des humains qu'il rencontre et par extension celle des spectateurs) est celle de jeunes gens avec un père - relation très œdipienne parfois, mais justement ce n'est pas contradictoire... Cela se vérifierait-il toujours ? Et si oui, cela pourrait-il expliquer le succès (relatif, mais succès quand même au RU depuis 53 ans) de Doctor Who ?
Alors, en vitesse, quelques pensées rapides pour ouvrir la réflexion. Attention, ces idées ne sont qu'un point de départ !
Celui qui coupe de la mère et ouvre au monde
Le Docteur est celui qui sépare de la Mère - en l'occurrence, la Terre. Il est celui qui arrache le terrien de sa petite vie tranquille, ennuyeuse, mais somme toute confortable, pour lui faire découvrir le vaste univers. La Terre est l'utérus dans lequel nous flottons... Le Docteur, protecteur de la Mère Terre, nous fait passer du statut d'enfant irresponsable et passif à celui d'acteur, d'égal.
Le Tardis est un nom féminin (en fait, en français, on devrait même dire la Tardis). C'est en fait une extension de la Terre ; le vaisseau-mère à bord duquel le Père nous conduit... Le Tardis a pourtant une personnalité qui le fait souvent aller à l'encontre de la volonté du Docteur. Celui-ci apparaît souvent comme... le Papa qui veut faire le chef alors que c'est Maman qui prend la décision à son insu ! Ce petit conflit Docteur/Tardis a été un fil conducteur de la série, dès l'origine, et encore aujourd'hui.
Celui qui nous ouvre sur notre histoire et nos racines
Il n'ouvre pas seulement le terrien sur l'horizon galactique ; il lui permet de faire sienne ses propres racines par le voyage dans le temps. Il nous apprend quelle est notre identité. Il rend proche le passé, nous réconcilie avec notre histoire (flagrant par exemple avec 7 et Ace, ou 9 et Rose, 11 et Amy... dans le cadre de leur histoire familiale personnelle).
Cela ne concerne pas seulement le voyageur qui accompagne le Docteur, mais surtout le spectateur. D'abord avec les épisodes historiques très documentés et réalistes des années soixante ; cela se vérifie encore avec les épisodes semi-historiques qui ont suivi, à partir des années 80 (Shakespeare luttant contre de vraie sorcières par exemple, ou Charles Dickens et les fantômes...). Rencontrer des figures historiques quasi légendaires, Churchill, Van Gogh, Jean sans Terre, ou assister à la chute de Pompéi, au Blitz, mais dans un contexte où nous pouvons faire la différence, c'est devenir acteur de ce passé, c'est nous en rendre propriétaire. C'est nous faire rentrer dans une histoire qui nous dépasse et nous englobe...
Celui qui nous rend autonome et confiant
Le Docteur nous apprend - et après 50 ans c'est toujours aussi flagrant - à avoir confiance en nous-même, à tester nos propres forces. Avec lui, le terrien tombe ; mais il lui apprend aussi à se relever. Cela peut se faire dans la douleur et la révolte : pourquoi le Docteur ne peut-il pas tout arranger ? Pourquoi nous laisse-t-il parfois sans défense, sans conseil, à devoir prendre nous-même une décision qui semble au-dessus de nos forces ?
Pourquoi ne peut-il toujours empêcher la mort ? Les Docteurs 1, 5, 6, 10, 11 et 12 (et j'en oublie sans doute) se sont un jour ou l'autre trouvé démunis face à la mort de leurs amis. Le Docteur ne peut pas protéger, et il doit apprendre à renoncer.
Ce sont tous ces compagnons qui ont affronté leur destin en renonçant à la protection du Docteur, parfois en lui désobéissant. Comme l'enfant devenu adulte qui décide de voler de ses propres ailes. C'est Jo Grant qui s'en va, Turlough qui affronte son destin, Susan qui reste derrière.
"Just go forward in all your beliefs and prove to me that I am not mistaken in mine. Goodbye, Susan. Goodbye, my dear." (1)
"Let me tell you what I see : humans. Brilliant humans! Humans who can travel all the way across space, lfying in a tiny little rocket, right into the orbit of a black hole, just for the sake of discovery, that's amazing! do you hear me ? Amazing ! All of you..." (10)
Au long des âges et des régénérations, le Docteur a souvent expliqué aux humains qu'ils pouvaient compter sur leurs propres forces. Qu'ils n'avaient pas forcément besoin de lui pour s'en sortir... S'ils montraient le meilleur de l'humanité.
Constater les limites et l'impuissance du père...
Et il y a des séparations dramatiques : la mort d'Adric, le terrible destin de Donna Noble.
Le Docteur n'est pas parfait. Il "gère" (ce moment délicieux de l'épisode où il arrange les ficelles au dernier moment, sur une musique épique de Murray Gold). Mais parfois au contraire c'est le choc, l'incompréhension finale... Celui qu'on admire tant, qu'on adule, et qui un jour nous déçoit. Ce jour où nous découvrons que malgré ses deux cœurs, il est finalement plus humain que nous pensions... C'est alors qu'un enfant (et de nos jours, on est enfant très tard) devient adulte. Le jour où il réalise que même son père, avec qui il a vécu tant d'aventure, n'est pas infaillible. Qu'il est au contraire faible, pas toujours bon, pas toujours juste, pas toujours intelligent. Qu'il peut avoir peur, être dépassé, impuissant. Et que parfois même notre père a besoin d'être sauvé. C'est Rose ou Clara revenant sur leur pas alors que le Docteur les avait renvoyées pour leur propre salut...
Une question vieille comme le monde
Alors nous sommes prêt à prendre la suite. Mais cela nous poursuit toujours... La question du Père est vieille comme le monde. Je ne partirais pas en délire théologique, mais le succès des religions chrétiennes s'explique sûrement par cette vision de Dieu comme Père par excellence. Ça ne va pas s'arrêter demain.
Notons que le Père, dans le subconscient humain, est une figure masculine. Je ne dis pas que certaines femmes n'ont pas été amenées à endosser ce rôle : et heureusement, on peut trouver des substituts. D'ailleurs, aucun père ne jouant parfaitement son rôle, nous passons notre temps à trouver des substituts, sans pour autant que l'image enregistrée par notre subconscient n'évolue.
A l'heure où nos sociétés ont consciencieusement détruit toutes les figures de paternité, j'ai parfois l'impression que nous n'avons jamais eu autant besoin de retrouver cette figure de Père. Papaoutai, comme disait l'autre. Père pour nous même, pour nos enfants, voire pour nos parents. Un père qui élève, qui pousse dehors, et qui nous laisse un jour. Un père qu'on veut admirer, insulter, soutenir et dépasser. Une fois de plus, les prisonniers que nous sommes trouvent une libération dans le Conte de Fée (Evasion, Recouvrement, Consolation... je ne citerais pas Tolkien plus loin mais ceux qui savent auront compris l'idée).
Nous avons besoin d'un Docteur
Doctor Who continuera d'avoir un succès (chez ceux qui ne sont pas allergiques à l'humour british bien-sûr) tant que le Docteur continuera d'endosser ce rôle.
Aussi, quand certains parlent de mettre un Docteur femme, cela me fait doucement rigoler. Il en était déjà question dans les années 80, pour plaire à nos rêves féministes. Désormais c'est pour satisfaire un autre fantasme ; celui qui consiste à penser qu'être homme ou femme n'est qu'une enveloppe physique et n'a qu'un impact relatif sur le rôle que nous tenons dans la société. Je ne dis pas que tout est faux...
Mais je fais le pari que s'ils cèdent à la mode, la série va dans le mur parce que ce serait détruire le ressort psychologique au fondement du succès de la série. Et ça ne me ferait pas du tout plaisir de constater que j'ai eu raison.
S'il y a des psys geeks qui veulent apporter leur pierre à l'édifice, je serais heureuse de continuer à réfléchir sur ce thème à plusieurs !
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Commentaires
Héros légendaire, Churchill, Jean sans Terre... hum !
"Le succès des religions chrétiennes s'explique sûrement par cette vision de Dieu comme Père par excellence", génial, Jésus a trouvé le bon plan. Mais est ce une vision ou un réalité ?
"Même notre père a besoin d'être sauvé" et "aucun père ne joue parfaitement son rôle", n'est ce pas finalement consolant et rassurant ?
Je suis tout à fait d'accord : si le docteur Who est une femme, la série est coulée.Comme l'église anglicane.
Écrit par : Ernest Combes | 01/02/2016
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