02/04/2010
Dialogue sur les rameaux
Le train est bondé. Madame Nimportequi dépose sa valise à l'entrée du wagon, négocie une place près d'un jeune homme. On déplace le sac de randonnée, on le hisse à deux dans le porte bagage. Madame aperçoit alors un rameau qui sort timidement quelques feuilles par une des poches de côté, ouverte.
- Ah, vous avez des rameaux ? Il paraît que ça porte chance.
Ils se sont assis maintenant, le train s'ébranle. L'homme répond :
- Personnellement, je n'y crois pas du tout.
- Ah ? C'est pour un ami ?
- Non, non, c'est pour moi.
- Mais si vous n'y croyez pas ?
- Je ne suis pas superstitieux. Un morceau de branche, porter chance ? A d'autres !
- Il n'y a pourtant pas de honte. Et puis, c'est une tradition. Après tout, moi aussi dimanche je suis allée chercher mon rameau, devant l'église. J'étais même au premier rang. Notez, je ne suis pas restée jusqu'à la fin, après, quand ils sont rentrés dans l'église. Je ne suis pas superstitieuse à ce point !
- Alors, pourquoi vous mettre au premier rang ?
L'homme est quelque peu goguenard : lui, il était derrière. Et il n'a pas souri alors, en notant que le premier rang, dans son intégralité, échappait à la poussée des fidèles au moment où ceux-ci entrèrent dans l'église.
- Je vous l'ai dit, c'est une tradition. Je voulais que mon rameau reçoive bien sa bénédiction.
- Mais pourquoi ?
- Mais pourquoi, pourquoi... Après tout vous en avez un aussi ! Pourquoi avez vous été le chercher, votre rameau, si ce n'est pas par tradition ou par superstition ?
L'homme est maintenant songeur. C'est vrai, lui aussi a tenu ce rameau. Il y attache d'ailleurs un respect surprenant. Les rameaux chez lui, on ne les a jamais jetés. Les rameaux se brûlent, ils ne se jettent pas.
- C'est une tradition oui... on commémore l'entrée dans Jérusalem de Jésus. Vous savez, la lecture qui était faite...
- Oui, mais j'avoue que ça me passe un peu par-dessus la tête. C'est tous les ans la même chose. Parfois je me dis même que c'est un peu ridicule, d'accorder tant d'importance à un événement qui s'est passé il y a 2000 ans. Ou qui n'est même jamais arrivé, d'ailleurs. Tout ça, c'est de la littérature...
- Les exégètes ne diraient pas cela. Et puis, le temps importe peu : cet événement a un sens profond, c'est cela que nous rappelons.
- Oui, on souligne l'importance que Jésus était un héros à l'époque, tout le monde l'aimait bien. C'est vrai que maintenant... Et puis, avec toutes les bêtises qu'a faites l'Eglise ! Justement, récemment encore...
L'homme sourit maintenant : chaque année, au Carème, on y a droit. Un déferlement médiatique contre le Pape, le Vatican, l'Eglise. Il laisserait bien pérorer la dame à ses côtés, mais il suit son idée, et celle-ci se précise :
- Non, tout le monde ne l'aimait pas bien. Justement, c'est cela tout le sens des Rameaux, madame... Vous voyez : dimanche, on vous acclame, vous êtes un héros, parce qu'on raconte à droite, à gauche, que vous avez fait quelque miracle ; que vous êtes puissant, et que c'est peut-être vous qui allez chasser l'envahisseur et rendre à votre peuple la grandeur, la liberté, la gloire. Et le vendredi de la même semaine, on vous arrête, on vous juge, on demande au peuple ce qu'il entend faire de vous. Hier le peuple écoutait un son de cloche, le lendemain un autre. Il demande votre mort... Cinq jours après vous avoir acclamé !
Vous voyez, madame, quand je regarde ce rameau, c'est à tout cela que je pense. A la futilité des honneurs sociaux. A la rapidité avec laquelle les rumeurs circulent, comment le héros d'un jour devient coupable, criminel, condamné le lendemain. Vous le dites vous-même, madame, en parlant des bêtises qu'aurait faites l'Eglise ! Regardez, le même Pape, aujourd'hui est acclamé aux JMJ, demain sera diffamé dans la presse. Nous le vivons tous les jours.
- Vous voulez dire que la gloire n'est que temporelle ?
- La gloire terrestre, oui. Le jugement des Hommes est soumis à leur humeur. Devons-nous, dès lors, y attacher de l'importance ?
- Et c'est ce que vous dit ce rameau ?
- Non... pas vraiment. Enfin, oui, aussi...
L'homme réfléchit quelques instants. C'est vrai, à quoi pensait-il en tenant ce rameau, dimanche dernier ?
- Je pensais... ce rameau... il me pose une question : serais-je de ceux qui acclament le Christ un jour, pour le condamner le lendemain, écoutant les sirènes de mon époque, ou serais-je de ceux qui le suivent, et qui le suivent jusqu'au bout...
Il soupire ; les lectures de dimanche dernier lui remontent en mémoire.
- Il n'y avait plus beaucoup de monde, en bas de la Croix.
- C'est bien, ce que vous dites. C'est juste dommage qu'on ne nous l'ai pas expliqué dimanche dernier. Pour une fois que je venais à l'église... On aurait pu avoir la suite de l'Evangile, comme vous dites, avec la Croix et tout ça...
- Mais on l'a eu, madame, on l'a eu... Après être rentré dans l'église.
Le paysage défile sous les yeux de madame Nimportequi. C'est vrai. Il y avait plus de monde pour brandir les rameaux que pour veiller sous la Croix.
Il en a toujours été ainsi.
Merci à PV
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